Des pilotes grévistes rassemblés mercredi 11 avril près du siège d’Air France à Tremblay-en-France (Seine-Saint-Denis). / Christophe Ena / AP

Le mouvement de grève perlée qui affecte Air France depuis maintenant deux mois risque de se prolonger encore. Réunie mercredi 11 avril, à Roissy, l’intersyndicale, qui regroupe dix organisations représentant toutes les catégories de personnels, a rejeté d’un revers de main la proposition de la direction, adressée la veille par mail à tous les salariés, d’une hausse générale des salaires de 2 % (au lieu de 1 %). Un effort financier de 40 millions d’euros.

« Cette offre est hors sujet. La grève est maintenue », s’est écrié Philippe Evain, président du Syndicat national des pilotes de ligne (SNPL). Les grévistes réclament, sans faiblir, une augmentation générale de 6 %. Elle ne constituerait que « le simple rattrapage de l’inflation » après que les salaires ont été bloqués pendant six ans.

Par comparaison, l’intersyndicale pointe du doigt « la hausse de 29 % de la rémunération moyenne des membres du Comex (comité exécutif) entre 2012 et 2016 », qui serait passée, selon eux, de « 393 333 euros à 507 692 euros ». En réponse, Air France signale que « la rémunération moyenne des membres du Comex a baissé de plus de 10 % de 2016 à 2017 ». La direction estime qu’une augmentation générale de 6 % coûterait 240 millions par an – soit une bonne part des 590 millions d’euros de bénéfices réalisés par la compagnie en 2017.

« Une poignée de gravier »

Pourtant, les sept syndicats représentatifs d’Air France ont dit qu’ils se rendraient au rendez-vous fixé, jeudi 12 avril, par la direction de la compagnie aérienne. Outre un coup de pouce pour les salaires dès 2018, Franck Terner, le directeur général, a proposé l’ouverture de négociations salariales pluriannuelles qui couvriraient la période 2019-2021. Elles pourraient déboucher, selon lui, sur l’élaboration d’un « pacte de croissance » avec les salariés. Mais il n’est pas question d’une « suspension du conflit » comme le demandait la direction. « Cela n’aurait aucun sens de lever la grève alors que les négociations n’ont pas commencé », a fait valoir M. Evain. Pour l’heure, les préavis de grève déposés pour les 17, 18, 23 et 24 avril sont maintenus.

Les sept jours de grève ont « commencé à fissurer le discours de fermeté de la direction », estime le président du SNPL Philippe Evain.

Après sept journées de grève, l’intersyndicale ne semble pas avoir l’intention d’assouplir ses positions. Au contraire, ce premier lest lâché par la direction paraît l’avoir galvanisée. « Il faut continuer », a lancé le président du SNPL. Selon lui, les sept jours de grève ont « commencé à fissurer le discours de fermeté de la direction ». Les 2 % avancés par l’entreprise semblent ne satisfaire aucun syndicat. « On verra ce qu’elle nous propose demain », pour l’instant, cela ne représente « pas grand-chose » à part « augmenter légèrement les 0,56 % qu’elle nous a royalement accordés cette année », a ironisé Grégoire Aplincourt, président du Syndicat des pilotes d’Air France (SPAF).

« Le préalable à toute discussion, c’est 6 % d’augmentation de salaire », rappelle Karine Monsegu, l’une des porte-parole de la CGT. Même fermeté pour Karim Taïbi, délégué FO, pour lequel il est « hors de question qu’on se couche pour 1 % (de plus). On ira chercher nos 6 %, c’est un dû ». Sandrine Techer, secrétaire de section du Syndicat national du personnel navigant commercial (SNPNC), fustige « la poignée de gravier que nous a jetée M. Terner et qui a été reçue comme telle ». « En nous offrant 1 % de plus à titre d’avance sur 2019-2021, M. Terner nous propose d’hypothéquer l’avenir plutôt que de solder le passé », a asséné M. Evain. Interrogé, mercredi sur Europe 1, Jean-Marc Janaillac, PDG d’Air France-KLM, a jugé la proposition de la direction « forte et raisonnable ».

Davantage de vols annulés

Avant de se retrouver jeudi, l’intersyndicale et la direction s’écharpent sur l’importance de la mobilisation des grévistes. A en croire Air France, ils ne seraient plus que 9 % contre 22 % au début du conflit. « Magouilles », répondent les syndicats, qui accusent la direction d’incorporer notamment dans son chiffrage, Hop ! et Transavia, deux filiales d’Air France non concernées par le conflit. Selon eux, « la mobilisation et l’impact de la grève ne vont pas en faiblissant ». Ils en veulent pour preuve le nombre grandissant de vols annulés. Curieusement, alors qu’Air France revoit à la baisse le pourcentage de grévistes, elle a aussi abaissé son programme de vols notamment long-courriers. Mercredi, la compagnie prévoyait de n’assurer que 70 % de ses vols et seulement 60 % de ses destinations long-courriers. Selon les calculs de l’intersyndicale, « près de 59 % des vols sont impactés » par les grèves.

Paradoxalement, après la « main tendue » de la direction, les grévistes semblent sûrs de leur victoire prochaine. La direction « a un genou à terre », veut croire un délégué CGT, qui ajoute : « nous comptons bien finir le travail ». Pour Mme Techer, la direction porterait la responsabilité d’un durcissement du conflit. Et de prévenir : « si cela se passe mal jeudi », elle n’exclut pas « d’ajouter des jours de grève ». De son côté, le président du SNPL ne veut pas insulter l’avenir et souhaite donner sa chance à la négociation. « Il n’est de l’intérêt de personne de mettre le feu dans l’entreprise », tempère M. Evain.