Au cimetière du Père-Lachaise, jeudi 12 avril. / PHILIPPE LOPEZ / AFP

Jacques, Joseph, Victor étaient là. Bien sûr. Ainsi que quelques milliers d’autres, des amis plus que des fans, comme l’avait souligné quelques minutes auparavant l’écrivain Jacques A. Bertrand. La statue de Casimir Perier (1777-1832) pointait du doigt la pluie qui tombait. Des dizaines de ballons multicolores faisaient une drôle de farandole au-dessus des parapluies. Le Père-Lachaise bruissait de refrains repris en chœur. Tête en l’air, Le parc Montsouris et quelques autres.

En ce jeudi 12 avril venteux et tristouille, une nuée d’anonymes et de moins anonymes enterrait un poète nommé Jacques Higelin, qui avait enchanté plusieurs générations d’amoureux des mélodies par ses chansons, ses spectacles, sa gouaille, son élégance, son énergie. La veille, au Théâtre du Rond-Point, Jean-Michel Ribes lui avait décerné le Grand Prix de l’Eternité. Il était cinq heures, le ciel de Paris s’effilochait.

« Tiens, il est enterré à côté d’Alain Bashung »

Arthur, son fils aîné, s’est approché d’un micro et a fredonné doucement : « Pars, surtout ne te retourne pas / Pars, fais ce que tu dois faire sans moi / Quoi qu’il arrive je serai toujours avec toi. / Alors pars et surtout ne te retourne pas ! » Il y eut de longs applaudissements. Et chacun s’en est allé à petits pas, transi et trempé, le cœur en bandoulière et l’âme un peu chagrine. « Tiens, il est enterré à côté d’Alain Bashung » a dit une dame. « Ils pourront chanter ensemble Champagne » a opiné un monsieur.

La journée avait démarré au Cirque. « Impossible de rendre hommage à Jacques dans une église » avaient expliqué Izia, Ken et Arthur, ses enfants. Va donc pour le Cirque d’Hiver, où le grand Jacques avait fait le mariolle tant de fois. Au milieu de la piste, un piano à queue, des percussions, une photo en noir et blanc, un micro, des tournesols et un cercueil… Sur les gradins, Alain Souchon, Jean-Louis Aubert, Louis Bertignac, Michel Jonasz, Nicolas Bedos, Marina Foïs, Christian Clavier, la ministre de la culture Françoise Nyssen, la maire de Paris Anne Hidalgo et plusieurs centaines de proches. Ils étaient là pour dire un au revoir sans larmes au baladin fantasque.

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Un message en anglais de Brigitte Fontaine

Daniel Auteuil lut une lettre de Barbara à propos de celui qu’elle nommait « mon frangin d’amour, le Higelin, le Jacques ». Sandrine Bonnaire récita du Baudelaire. Jeanne Cherhal reprit Tombé du ciel avec intelligence et sensibilité. Un étrange message en anglais de Brigitte Fontaine fit souffler une brise surréaliste. Ken, le second fils de Jacques, très ému, raconta qu’il l’avait vu, en rêve la veille, disparaître dans son grand manteau tout pourri, riant aux éclats dans une rue de Paris. Camille interpréta a capella un Tiens j’ai dit tiens plein d’émotion. Izia, sa fille, bondissante, les mains levées vers le ciel, lui dédia un de ses nouveaux morceaux, Dragon de métal et, posant la main sur son ventre, annonça qu’elle allait donner la vie…

Ensuite, le cercueil, porté par ses fils et quelques intimes, fit un dernier tour de piste sur les paroles d’Irradié, reprises pendant de longues minutes, dans une belle communion, par une salle debout, applaudissant à tout rompre la sortie d’un grand artiste. L’immense Mahut, assis derrière ses percussions, continua longtemps, très longtemps, à en frapper les peaux avec la noblesse d’un prince imperturbable.

Jacques Higelin a eu l’enterrement qui lui ressemblait. Joyeux. Et malicieux.

Izia Higelin au Père Lachaise, le 12 avril. / BERTRAND GUAY / AFP