Le chantier de l’EPR de Flamanville (Manche), en novembre 2014. / CHARLY TRIBALLEAU / AFP

Le président de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN), Pierre-Franck Chevet, est revenu en termes sévères, jeudi 12 avril au Sénat, sur les nouveaux défauts de soudure mis au jour mardi sur l’EPR de Flamanville (Manche). Des anomalies qu’il a jugées « sérieuses » devant l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, auquel il présentait le rapport annuel sur l’état de la sûreté nucléaire et de la radioprotection en France.

Il avait déjà usé du même qualificatif en février, au sujet de premiers « écarts » détectés dans la réalisation de certaines soudures des tuyauteries reliant les générateurs de vapeur (au nombre de quatre sur l’EPR) vers la turbine. Trente-huit soudures étaient mises en cause. Mais, avait alors assuré EDF, il s’agissait d’écarts par rapport à un référentiel de « haute qualité », plus exigeant que les normes standard appliquées aux équipements sous pression nucléaires, si bien que selon l’électricien, ces circuits restaient « aptes à assurer leur mission en toute sûreté ».

Le problème est en réalité plus étendu que ne le laissait alors entendre EDF. Fin mars, l’entreprise a en effet découvert, à l’occasion de la « visite complète initiale » préalable à la mise en service du réacteur de troisième génération, de nouveaux « écarts de qualité ». Et cette fois, non pas par rapport à des exigences de sûreté renforcées, mais par rapport à la réglementation normale pour ce type d’équipements.

150 soudures potentiellement concernées

Ces défauts portent sur l’ensemble du circuit secondaire principal du réacteur. Il ne s’agit donc plus seulement des sections évacuant la vapeur des générateurs vers la turbine, mais aussi des parties ramenant l’eau condensée vers les générateur de vapeur. Soit, au total, 350 mètres de tuyauteries. De ce fait, c’est la totalité des 150 soudures de ce circuit fermé qui est potentiellement concernée, y compris celles dont EDF avait affirmé, dans un premier temps, qu’elles restaient malgré tout bonnes pour le service.

L’ASN, qui a réalisé mardi une inspection du chantier de l’EPR normand, se montre particulièrement critique. « L’inspection a mis en évidence que l’organisation et les conditions de travail lors des contrôles de fin de fabrication ont globalement nui à la qualité des contrôles, écrit-elle dans une note d’information. Par ailleurs, une surveillance inadaptée de ces prestations par EDF et Framatome [ex-Areva NP] n’a pas permis d’identifier et de remédier aux difficultés rencontrées par les intervenants. »

Devant les parlementaires, Pierre-Franck Chevet a enfoncé le clou, déclarant qu’il y avait clairement « un défaut de surveillance » par EDF et Framatome. « Pour certaines soudures, on ne comprend pas comment les anomalies n’ont pas été détectées avant », a-t-il ajouté. Et d’indiquer que les vérification devront être étendues à « d’autres circuits sur l’EPR », au-delà du circuit secondaire principal.

« Situation anormale » et « alerte sérieuse »

Interrogé par Le Monde, Thierry Charles, directeur général adjoint de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN), parle lui aussi d’une « situation anormale » et d’une « alerte sérieuse », dans la mesure où se conjuguent trois défaillances : des soudures mal réalisées, des contrôles de fabrication déficients et une surveillance par EDF « trop tardive ».

L’ASN attend désormais les résultats des « contrôles additionnels » annoncés par l’électricien sur les 150 soudures potentiellement suspectes, « afin d’indentifier précisément celles qui présentent des écarts de qualité ». Ces conclusions sont attendues pour fin mai. L’exploitant devra alors indiquer les mesures correctives qu’il mettra en œuvre, celles-ci pouvant aller, indique l’IRSN, d’une simple reprise des soudures, dans l’hypothèse la plus favorable, au remplacement du circuit, dans le pire des cas.

D’où la prudence d’EDF, qui indique que ce n’est qu’à l’issue des vérifications et de l’instruction conduite par l’ASN qu’il sera « en mesure de préciser si le projet nécessite un ajustement de son planning et de son coût ». Jusqu’à présent, le chargement de l’EPR en combustible nucléaire était programmé pour la fin du quatrième trimestre 2018, en vue d’une mise en exploitation dans le courant de 2019. Quant au coût total de ce prototype, il a triplé depuis les premiers devis, passant de 3,3 milliards d’euros annoncés en 2005 à 10,5 milliards d’euros.

Auditionné mercredi par les commissions des finances et des affaires économiques de l’Assemblée nationale, le PDG d’EDF, Jean-Bernard Lévy, a réaffirmé que l’entreprise publique se plaçait « dans la perspective de construire de nouveaux EPR en France », en mettant en avant les avantages du nucléaire en matière d’émissions de gaz à effet de serre.