Le vice-président des acquisitions de contenus de Netflix, Robert Roy, la décrit comme « une série audacieuse et à suspense qui a le potentiel pour saisir les spectateurs amateurs de sensations fortes de par le monde ». Certains estiment qu’elle pourrait connaître le même succès que Narcos.

Amo (« maître » ou « boss », en philippin), dont les douze premiers épisodes ont été mis en ligne le 9 avril aux Etats-Unis et dans plusieurs pays – mais pas encore en France –, se déroule dans les rues des Philippines sous la présidence de Rodrigo Duterte et sa sanglante campagne contre la drogue, qui a fait des milliers de morts – les chiffres officiels ne sont pas fiables. Ces petits revendeurs, toxicomanes ou simples voisins dénoncés à tort tombent sans autre forme de procès.

Le réalisateur, Brillante Mendoza, dont le travail a été plusieurs fois distingué à Cannes (Kinatay, prix de la mise en scène en 2009, Ma Rosa, prix d’interprétation féminine 2016), donnait déjà dans l’ultraviolence qui caractérise les mauvais quartiers de Manille. Il reprend ce thème dans Amo, avec ses propres convictions. Il a déjà expliqué qu’il voyait la campagne antidrogue comme une « nécessité », et ce malgré les condamnations des Nations unies et un examen préliminaire de la procureure de la Cour pénale internationale. Depuis deux ans, il n’a pas fait mystère de son soutien à la politique de M. Duterte, dont il a accepté de réaliser pour la télévision le discours le plus important, l’Adresse sur l’état de la nation, deux années d’affilée.

« Tuer n’est pas juste »

La série de Netflix suscite l’indignation des organisations de la société civile et de familles de victimes. Elles accusent M. Mendoza, qui, certes, n’élude ni la corruption ni la gâchette facile des policiers, d’avoir laissé de côté l’aspect le plus central, quoique inavoué de cette guerre sur les quartiers : dans de multiples cas, et comme cela l’a été pendant plus de deux décennies dans la ville dont Duterte a été maire, les escadrons de la mort sont les policiers eux-mêmes, qui enfilent des cagoules à la nuit tombée pour ne pas s’embarrasser de présomption d’innocence et autres procédures judiciaires, afin de liquider les revendeurs qui les savent mouillés dans le trafic et pourraient les dénoncer à la hiérarchie ou les faire chanter, ou par appât pour ces primes qui leur sont versées.

Une mère de famille dont le fils a été tué en avril 2017 de deux balles dans la tête au lendemain d’une dénonciation – infondée, selon elle – d’un voisin avec qui il s’était disputé et qui l’avait en représailles accusé au commissariat de vendre de l’herbe, a lancé une pétition, signée par 7 400 personnes cette semaine. Quatorze hommes masqués avaient enlevé son fils, Raymart Siapo, lui avaient cassé les bras et l’avaient abattu, alors que, souffrant d’un pied-bot, il était dans l’incapacité de courir. « Je voudrais vous demander d’annuler cette série. La guerre contre la drogue n’est pas la solution. Pour moi, tuer n’est pas juste. Chacun mérite une chance de vivre et de changer sa vie », écrit la mère endeuillée, Luzviminda Siapo, à la direction de Netflix.

« Une réécriture des faits indécente »

Joint par What’s App, M. Mendoza s’excuse de ne pas pouvoir donner d’interviews ces jours-ci mais s’est défendu auprès du Telegraph en disant s’intéresser aux « deux facettes de la médaille » : un gouvernement devenu « vraiment dur » sur le problème de la drogue, qui « doit être réglé », mais aussi une police fortement corrompue.

Ses critiques l’accusent de glorifier la campagne de Rodrigo Duterte et de ne pas montrer que le policier de jour et le tueur à moto de nuit sont souvent la même personne dans les Philippines d’aujourd’hui. « Lui présente les meurtres comme le résultat avant tout de conflits entre gangs. Ça ne représente pas la réalité, ça ne montre pas le fait que Duterte a transformé la police en une machine de mort. En ça, il contribue directement à la propagande de Duterte », s’insurge l’activiste Justine Balane, représentant d’un groupe de jeunes dénonçant le sang versé.

M. Balane accuse Netflix d’offrir une plate-forme mondiale à cette lecture des événements. « A voir la série, le public international pourrait croire que ces morts sont justifiées, que c’est légitime. C’est une normalisation, une réécriture des faits complice et indécente pour les familles de victimes », lance-t-il par téléphone. Netflix a estimé qu’il revenait au spectateur de se forger un jugement.

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