Le site de Tolbiac (Paris-I), mardi 11 avril 2018. / Kamil Zihnioglu pour « Le Monde »

Alors que la réforme de l’accès à l’université suscite toujours plusieurs « blocages », Le Monde Campus a fait le point sur le mouvement étudiant dans un tchat avec ses lecteurs.

On a l’impression que les universités sont à feu et à sang. Qu’en est-il réellement ? Le mouvement est-il général ou localisé ?

Non, les universités sont loin d’être « à feu et à sang » comme vous dites. Pour l’instant, une minorité d’établissements sont perturbés par ce mouvement. Ils étaient une dizaine la semaine dernière, et une quinzaine en cette fin de semaine. Quatre universités sont entièrement bloquées : Jean-Jaurès à Toulouse, Paul-Valéry à Montpellier, Rennes-II et Paris-VIII (Vincennes-Saint-Denis). Ailleurs, seuls des sites ou des bâtiments sont bloqués, à l’instar du campus de Tolbiac à Paris-I, de certains bâtiments de l’université de Nanterre ou encore de Grenoble. La situation est très fluctuante, des bâtiments pouvant être bloqués un jour et débloqués le lendemain (Strasbourg, par exemple)…

A noter que dans de nombreux sites, des assemblées générales se réunissent, sans que cela ne perturbe en tant que tel le fonctionnement des campus.

Contre quel(s) point(s) du projet de loi Vidal les étudiants manifestent-ils ?

Au centre de la loi « Orientation et réussite des étudiants » figure la question des « prérequis » d’accès aux filières de l’enseignement supérieur, autrement dit les compétences nécessaires pour y entrer. Ces compétences seront examinées au regard des dossiers des candidats (notes, lettre de motivation, CV, etc.). Cet examen des candidatures, nouveau à l’université, est assimilé par ses opposants à de la sélection.

Par ailleurs, la réforme de l’accès à l’université doit s’accompagner d’une remise à plat du cycle de licence (les discussions à ce sujet doivent démarrer prochainement). Il s’agit, entre autres, de permettre aux étudiants de poursuivre à leur rythme ce cursus. Certains craignent que cette remise en question de la licence en trois ans ne permette plus des compensations de leurs notes entre les semestres.

Dans les AG et les cortèges, s’ajoutent à ces deux points d’autres revendications qui n’ont rien à voir avec la réforme Vidal : « casse sociale » menée par le gouvernement, « destruction du service public », réforme SNCF, Notre-Dame-des Landes… Bref tous les autres sujets de mécontentement du mouvement social actuel.

La réforme de l’université qui entre en vigueur concerne au premier chef les lycéens en terminale. On n’a pas l’impression que les mouvements actuels les concernent vraiment. Comment expliquez-vous ça ?

Effectivement, depuis les premières manifestations contre la loi « Orientation et réussite des étudiants », les lycéens sont peu visibles dans les cortèges. Et ce alors qu’ils sont directement concernés par la réforme, et par la nouvelle plateforme d’accès dans l’enseignement supérieur, Parcoursup. Mais il faut se rappeler qu’ils étaient aussi les premiers concernés, l’année dernière, par les déboires de la plateforme précédente Admission post-bac (APB), qui se sont traduits entre autres par une utilisation du tirage au sort et de nombreux candidats sans affectation au mois de juillet.

La nouvelle plateforme Parcoursup est censée éviter l’utilisation du tirage au sort, par un examen des dossiers des candidats. Les lycéens semblent donc pour l’instant « jouer le jeu » de Parcoursup, plateforme sur laquelle ils ont inscrits leurs vœux en janvier.

Sait-on comment les examens vont s’organiser dans les facs bloquées ? Y a-t-il un risque qu’ils soient repoussés ?

C’est en effet une question qui se pose dans les universités les plus touchées par ce mouvement. Pour le moment seule l’université Toulouse-Jean-Jaurès, dont les cours se sont arrêtés il y a plus d’un mois, a fait le choix de repousser les examens des étudiants en juin. Ce choix implique que la deuxième session (les rattrapages) ne se fera qu’en septembre. A Montpellier, l’université Paul-Valéry a fait le choix d’organiser des partiels « en ligne ». Mais un acte de vandalisme sur les serveurs de l’université les empêche pour l’instant. Dans les universités, c’est au président et à son équipe de décider des modalités d’évaluation.

Dans les AG étudiantes, une des revendications qui revient souvent est de demander aux examinateurs de donner à tous les étudiants un 10 voire un 12 ou un 15 « améliorable », soit une note minimum qu’un étudiant peut augmenter s’il se présente aux examens. Sur ce point, le gouvernement a, à plusieurs reprises, exprimé son refus catégorique. Hier encore, lors de son interview au journal télévisé de Jean-Pierre Pernaut, le président de la République a eu cette phrase : « Les étudiants, s’ils veulent avoir leurs examens en fin d’année, c’est mieux de les réviser, parce qu’il n’y aura pas d’examens en chocolat dans la République. »

Comment se fait-il qu’on entende si peu les étudiants contre les blocus et pour la reprise des cours ? Sont-ils moins mobilisés ?

Ces derniers sont en tout cas beaucoup moins visibles dans les AG que les étudiants favorables au blocus. Il n’est pas toujours facile de prendre la parole dans un amphithéâtre plein à craquer, d’autant plus si celui-ci est majoritairement acquis à la cause du mouvement, ce qui est souvent le cas. Cependant, ces derniers sont de plus en plus visibles sur les réseaux sociaux, où ils multiplient les hashtags (#jeveuxétudier, #maFacMonAvenir), pétitions, ou groupes pour s’organiser.

Rappelons que pour beaucoup d’étudiants les examens approchent ; certains préfèrent sans doute réviser.

Quantitativement, peut-on dire que moins de 1 % des étudiants sont en grève ? On ne voit notamment aucune fac de médecine, prépa, etc.

Le mouvement prend davantage, et traditionnellement, dans les départements de sciences humaines et sociales. Pour ce qui est de votre estimation de « 1 % », aucun chiffre n’existe, il est donc impossible de répondre précisément à votre question.

Pour vous donner une idée de la fréquentation des AG (où tous les étudiants en grève ne sont peut-être pas présents et où des non grévistes peuvent aussi participer), 800 personnes ont assisté à l’assemblée générale du 12 avril de Nanterre, dans une université qui compte 33 000 étudiants. Une autre assemblée générale qui rassemblait des enseignants de cette même université, a compté une centaine de personnes, sur 2 000 enseignants.

Les occupations des universités par les étudiants sont-elles illégales ? Comment se fait-il que leur évacuation prenne tant de temps, voire soit refusée ?

D’un point de vue juridique, le blocage d’une université est illégal, puisqu’il représente une « entrave à la liberté d’aller et venir dans un lieu public ». L’article L811-1 du code de l’éducation précise que les étudiants « disposent de la liberté d’information et d’expression à l’égard des problèmes politiques, économiques, sociaux et culturels. Ils exercent cette liberté à titre individuel et collectif, dans des conditions qui ne portent pas atteinte aux activités d’enseignement et de recherche et qui ne troublent pas l’ordre public. » Ainsi, les étudiants n’ont pas le droit d’empêcher d’autres étudiants de venir assister aux cours et d’empêcher les professeurs de les donner.

Cependant, le recours aux forces de l’ordre peut seulement être demandé par le président d’université à la préfecture de rattachement. Ce recours est utilisé avec une extrême prudence, car les présidents d’université craignent le drame et savent combien cela peut aussi provoquer une « réaction » du corps étudiant, voire enseignant, et renforcer la mobilisation.

Les forces de l’ordre ont d’ailleurs le droit de ne pas donner suite aux demandes du président, comme ce fut le cas à l’université Paris-I, où le président Georges Haddad n’a pas obtenu l’intervention qu’il demandait sur le site de Tolbiac.

Le chien twittos Guevara de « la Commune libre de Tolbiac » est-il toujours retenu contre son gré par les étudiants-bloqueurs de Tolbiac ?

Lors de la conférence de presse des étudiants mobilisés à Tolbiac, le désormais célèbre Guevara n’avait pas l’air trop malheureux…

Copie d’écran du compte Twitter de Guevara. / Le Monde.fr

Son compte Twitter parodique a en tout cas aujourd’hui atteint 27 500 abonnés.