Etre infecté par un plasmodium, c’est commencer une histoire qui durera toute une vie. « Dès qu’on a de la fièvre, on sait que c’est le palu, raconte Amadou Sall, un sexagénaire qui vit à Dakar. On a tellement l’habitude qu’on ne voit pas le médecin pour cela, on va directement à la pharmacie chercher le traitement. »

Le paludisme, qui se manifeste par ces crises, est une maladie chronique. « L’organisme humain n’est pas capable d’éliminer ce parasite, explique Robert Menard, directeur de recherche à l’Institut Pasteur, à Paris. Si la personne survit, un état d’équilibre se crée, le corps supporte le plasmodium, sans symptômes. » Mais une crise peut de nouveau survenir lors d’une nouvelle piqûre de moustique infecté par le parasite. C’est donc avec une épée de Damoclès au-dessus de leur tête que vivent des dizaines de millions d’Africains.

Présentation de notre série : Paludisme, la guerre d’usure

Dans les zones endémiques, presque tous les adultes sont en effet contaminés. Et dans certaines régions, les habitants peuvent être réinfectés chaque nuit : « La saison des pluies est la pire, bien sûr, mais des moustiques, il y en a toute l’année. Nous savons tous qu’une crise peut survenir n’importe quand », explique, résigné, Amadou Sall.

Diarrhée, convulsions, coma

« Le paludisme, c’est un peu comme la grippe. On peut ne présenter aucun symptôme puis être malade une semaine, ou finir à l’hôpital et voir son pronostic vital engagé », illustre le professeur Christian Lengeler, infectiologue à l’Institut tropical et de santé publique suisse.

La mortalité est assez faible chez les adultes. Ceux qui paient le plus lourd tribut sont les enfants de moins de 5 ans, dont un meurt du paludisme toutes les deux minutes dans le monde. « Le système immunitaire a besoin de temps pour contrôler de mieux en mieux le parasite, précise le professeur. Ceci explique que les cas mortels se concentrent chez les plus jeunes. » De nombreuses victimes se retrouvent aussi parmi les femmes enceintes, dont l’immunité est modifiée durant la grossesse.

Après une piqûre de moustique anophèle femelle contaminé par le parasite, celui-ci va d’abord se multiplier dans le foie, puis passer dans le sang. Il entre alors dans les globules rouges, qui se modifient et collent à la paroi des microvaisseaux, avant d’éclater. C’est alors que la fièvre, les frissons et les douleurs articulaires se manifestent. Des diarrhées et des vomissements surviennent parfois.

La complication à l’origine de la plupart des décès est due au neuropaludisme. Les patients sont alors atteints de convulsions qui peuvent mener rapidement au coma, puis à la mort. « On sait que le paludisme tue encore, mais c’est rare qu’on en parle vraiment. On ne devrait pas, mais la maladie fait tellement partie de notre quotidien qu’on l’a complètement banalisée », constate Amadou Sall.

De la quinine aux ACT

La quinine, isolée par deux chimistes français en 1820, fut longtemps le traitement de référence de la maladie. Le remède, extrait de l’écorce du quinquina, était connu en Europe depuis le XVIIe siècle sous le nom de « poudre des Jésuites », qui l’auraient ramenée d’Amérique du Sud. A partir des années 1930, des antipaludéens de synthèse voient le jour : la chloroquine puis la méfloquine, l’amodiaquine et la sulfadoxine-pyriméthamine.

Aujourd’hui, les cas les plus sévères sont traités par des injections intraveineuses d’artésunate ou de quinine. « Le plasmodium n’a toujours pas développé de résistance à la quinine, mais elle présente des effets secondaires importants, ce qui limite son utilisation », précise Christian Lengeler. Les autres molécules ont toutes conduit à des résistances majeures et il a fallu attendre le début des années 2000 pour voir de nouveaux traitements apparaître : les ACT (artemisinin-based combination therapy).

La phytothérapie dans la lutte contre le paludisme

L’accès limité aux nouveaux traitements ACT (artemisinin-based combination therapy) dans certaines régions d’Afrique et la survenue de résistance chez quelques patients suscite un regain d’intérêt pour la phytothérapie. « Nous avons utilisé avec succès des feuilles séchées d’Artemisia annua chez 18 patients congolais résistants aux ACT et à l’artesunate. Mais ces tests dits compassionnelsdoivent impérativement être confirmés par d’autres études », commente, prudente, Pamela Weathers, professeur de biochimie au Worcester Polytechnic Institute.

Cousine de l’Artemisia annua, l’Artemisia afra fait aussi beaucoup parler d’elle. Dépourvue d’artémisinine, elle serait tout de même efficace contre le paludisme. Plusieurs associations tentent d’en élargir la culture et l’usage par les populations africaines et dénoncent la position de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) qui, jusqu’ici, déconseille l’utilisation de l’Artemisia Annua en décoction ainsi que le recours à l’Artemisia afra. « Le problème principal est de contrôler la concentration en principes actifs – qu’on ne connaît même pas tous ! – et donc le dosage entre les différentes cultures d’Artemisia », relève Robert Menard, directeur de recherche à l’Institut Pasteur de Paris.

Pamela Weathers estime pour sa part qu’il est très difficile de recommander un remède sur de simples observations, et insiste sur la nécessité de mener au plus vite des recherches sur ces deux plantes médicinales.

Les ACT combinent des molécules anciennes avec de l’artémisinine. Ce principe actif a été isolé à la fin des années 1960 par une chercheuse chinoise, Tu Youyou, qui a reçu le prix Nobel de médecine en 2015 pour cette découverte. Contenu dans l’armoise, ou artemisia annua, l’artémisinine faisait partie de la pharmacopée chinoise depuis des siècles. Ces molécules sont désormais la référence pour traiter les accès palustres sans sévérité. « Des résistances existent déjà en Asie du Sud-Est, mais les ACT sont encore très efficaces en Afrique si le traitement est bien pris pendant trois jours et si les médicaments ne sont pas contrefaits », indique le professeur Lengeler.

Repenser la recherche

La recherche sur les anti-paludéens, longtemps au point mort faute de rentabilité pour les laboratoires pharmaceutiques, a été relancée au début des années 2000, notamment grâce à la création du Medicines for Malaria Venture (MMV). « Leur savoir-faire était indispensable pour développer de nouveaux médicaments, mais il fallait créer quelque chose de nouveau pour leur assurer qu’il n’y aurait pas de pertes financières », explique Andrea Lucard, cheffe des relations externes du MMV.

C’est donc un partenariat d’un nouveau genre qui a vu le jour, le « partenariat de développement de produits » (PDP). Grâce à des financements publics et privés, laboratoires académiques et industriels du monde entier travaillent désormais ensemble, avec des coûts de développement réduits à une centaine de millions de dollars par médicament, contre un milliard au moins en temps normal. Soixante-cinq projets sont actuellement en cours et neuf molécules pourraient être disponibles dans les prochaines années.

De nouvelles armes qui ne seront pas de trop pour renforcer l’arsenal contre une maladie qui, en 2016, a encore tué 407 000 Africains. Mais les meilleurs traitements resteront vains si un effort important n’est pas fait pour améliorer l’accès aux soins, encore très inégal sur le continent.

Cet article fait partie d’une série réalisée dans le cadre d’un partenariat avec Roll Back Malaria (RBM).

Sommaire de notre série : Paludisme, la guerre d’usure

Dans une série en dix épisodes, Le Monde Afrique détaille les enjeux de la lutte contre cette maladie parasitaire qui a provoqué 445 000 décès dans le monde en 2016.

Présentation de notre série : Paludisme, la guerre d’usure