Chloé Poizat

Quelle place pour la formation continue dans les grandes écoles ? S’agit-il d’un débouché majeur, ou d’une simple activité d’appoint ? Elle suscite en tout cas un intérêt ­accru sur les campus, beaucoup de responsables y voyant un moyen de dégager de nouvelles ressources, à un moment où l’équilibre financier des établissements ­apparaît plus précaire.

Nombre d’écoles commencent ainsi à afficher des chiffres d’affaires appréciables pour cette activité – de l’ordre de 10 % à 20 % de leur budget global. Et elles comptent bien aller plus loin. La for­mation continue représente ainsi 11 % du budget à l’Edhec, 12 % à Centrale-Supélec ou à l’EM Normandie, 20 % à l’ESCP Europe…

L’« executive education »

HEC constitue un cas à part, avec 60 millions d’euros de recettes générées, soit près de 50 % du budget total. Il est vrai que l’école a été l’une des premières dans l’Hexagone à miser à fond sur ce créneau, avec une large gamme de cycles diplômants, de programmes courts et de séminaires sur mesure.

Encore faudrait-il s’accorder sur le périmètre concerné. Certains établissements rangent ainsi dans la colonne « formation continue » l’ensemble de leurs cursus postdiplôme (y compris ceux qui s’adressent à des diplômés sans expérience), et parfois même leurs cycles en alternance. D’autres, comme HEC ou l’Edhec, se concentrent sur l’executive education, les programmes pour dirigeants et ­cadres à haut potentiel.

Avantage concurrentiel

De façon générale, les écoles les plus cotées bénéficient d’un avantage concurrentiel. « La formation continue nous permet de montrer le meilleur de notre savoir-faire et contribue à asseoir notre marque, observe Valérie Madon, chargée de cette activité à l’ESCP Europe. Et inversement, ­notre carte de visite nous aide à gagner des parts de marché. » Elle permet aussi, parfois, de dégager des marges un peu plus élevées. Pour ces poids lourds, un gros contrat peut atteindre, voire dépasser le million d’euros.

Même constat pour Nathalie ­Lugagne, directrice déléguée Executive Education à HEC : « La réputation joue énormément, surtout à l’international. » L’école figure d’ailleurs régulièrement, depuis une dizaine d’années, parmi les meilleurs mondiaux dans ce domaine, selon le classement réalisé par le Financial Times.

Rien d’étonnant si ces écoles possèdent souvent une longueur d’avance. Quelques-unes ont créé un département consacré à la formation continue, voire, comme Polytechnique ou EM Lyon, une ­filiale spécialisée.

Avec un chiffre ­d’affaires de 12,5 millions d’euros, ­Centrale-Supélec revendique la place de numéro un français parmi les écoles d’ingénieurs. « Nous avons beaucoup développé cette activité ces dernières années, explique Gilles Gleyze, directeur général délégué. Et nous continuons à progresser. » Centrale-Supélec table sur une offre diversifiée, avec une majorité de programmes diplômants (mastères spécialisés), mais aussi des certificats à temps partiel, des séminaires sur mesure, des stages courts sur des sujets pointus… Une part croissante de ces formations est dispensée en ligne.

La carte de l’international

L’international constitue un débouché croissant pour certaines institutions. HEC est déjà très présente en Chine, au Moyen-Orient et en Afrique. Centrale-Supélec est particulièrement active au Maroc, avec une ambition « panafricaine », et aussi en Chine. Skema Business School s’appuie sur ses campus au Brésil, en Chine et aux Etats-Unis pour développer ses ­activités. « Nous avons une demande forte dans ces pays, et il s’agit pour nous d’un axe majeur de développement », indique Alice Guilhon, sa directrice.

Les institutions plus modestes ont souvent davantage de mal à s’imposer sur ce marché, encore nouveau pour elles. Plusieurs parviennent cependant à tirer leur épingle du jeu, parfois avec un ­positionnement original. EM Normandie et Toulouse Business School (TBS) proposent ainsi leur master « grande école » en formation continue.

Quelques-unes s’appuient sur leur expertise dans un domaine précis et leur ancrage territorial pour développer des programmes destinés aux cadres. C’est le cas de Burgundy School of Business dans le domaine du management du vin. Idem pour TBS, membre de l’« Aerospace Valley » toulousaine – où se concentre un tiers des effectifs de l’industrie aéronautique en France –, et dont ­l’Aerospace MBA accueille des ­participants du monde entier. Une quarantaine d’entre eux suivent même leur cursus à Bangalore, en Inde. Neoma, de son côté, développe une gamme de cycles diplômants entièrement modulables, accessibles à temps partiel.

«Les entreprises sont très atten­tives au retour sur investissement. Disposer d’une marque reconnue ne suffit pas. »

Reste que la formation continue n’est pas l’eldorado que certains espéraient. Pour plusieurs raisons. « Les cadres et dirigeants ­attendent que leur formation les aide à résoudre des problèmes straté­giques. Ils sont donc très exigeants, indique Benoit Arnaud, directeur de l’Executive Education à l’Edhec. Et les entreprises sont très atten­tives au retour sur investissement. Disposer d’une marque reconnue ne suffit pas. » Pour rester compétitif, il faut offrir des prestations sans faille. Respect du cahier des charges, qualité de l’accueil, locaux confortables et bien équipés, services irréprochables sont autant d’impératifs.

De plus, la formation continue réclame des investissements ­importants, notamment pour le numérique, sur lequel beaucoup misent. HEC développe ainsi une offre de programmes blended (« mixte »), alliant enseignement à distance et en « présentiel », et même des cursus entièrement en ligne, comme un executive master en entrepreneuriat-innovation. Sans compter que la concurrence devient de plus en plus rude, entre écoles et avec les universités qui arrivent sur le marché, avec des contraintes financières moindres.

Marché prometteur, la formation continue n’est sans doute pas le pactole attendu. Mais pour les écoles, l’intérêt de la formation continue n’est pas seulement d’ordre financier. Elle contribue à renforcer leurs liens avec les ­entreprises – avec d’importantes retombées positives pour la recherche, et par suite pour la qualité de l’enseignement.

« La formation continue nous pousse à concevoir des programmes toujours plus flexibles, pour des publics plus exigeants que les étudiants », souligne Gilles Gleyze, à Centrale-Supélec. « C’est un facteur-clé d’innovation pédagogique », confirme Valérie Madon, de l’ESCP Europe.

Perspectives énormes

Sans compter qu’avec le développement de la « formation tout au long de la vie », voulu par Emmanuel Macron, les perspectives de croissance sont énormes. Au point que certains, comme Bernard Belletante, directeur général d’EM Lyon, imaginent un changement complet de paradigme pour les écoles dans les prochaines ­années.

« Entre le boom du numérique, l’essor des “EdTechs” [« Ed » pour « éducation »] et de l’intelligence artificielle, et le besoin pour les diplômés de renouveler toujours plus vite leurs connaissances, nous sommes à l’aube d’une ­transformation radicale de nos modèles », assure-t-il. La formation ­continue pourrait ainsi devenir pour les écoles un enjeu stratégique majeur – au même titre que la formation initiale.

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Le Monde publie, dans son édition datée du jeudi 12 avril, un supplément dédié à la formation continue dipômante. Car le projet de loi « avenir professionnel », qui sera présenté le 27 avril en conseil des ministres, impose une nouvelle philosophie, celle de salariés en mouvement « tout au long de leur vie », pour qui les diplômes et certifications seront une garantie d’emploi.

Les différents articles du supplément sont progressivement mis en ligne sur Le Monde.fr Campus, rubrique Formation des cadres et Le Monde.fr Economie, rubrique Emploi/Formation.