Entre l’homme et les moustiques qui transmettent le paludisme, la guerre fait rage. Qui l’emportera ? L’homme a semblé gagner des points, notamment grâce aux moustiquaires imprégnées d’insecticide. Mais le moustique a forgé des boucliers : il a développé des résistances à ces insecticides, qui deviennent de moins en moins efficaces.

La priorité : protéger la population des piqûres des anophèles, qui sévissent au crépuscule ou durant la nuit. « Les moustiquaires imprégnées restent le seul outil qui a fait ses preuves sur le terrain », relève Frédéric Simard, spécialiste de la lutte anti-vectorielle à l’Institut de recherche pour le développement (IRD), à Montpellier.

Présentation de notre série : Paludisme, la guerre d’usure

Entre 2002 et 2017, quelque 795 millions de moustiquaires imprégnées ont été distribuées dans le monde grâce au soutien du Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme. « On estime qu’à elles seules, ces moustiquaires ont évité plus de 500 millions de cas et sauvé plusieurs centaines de milliers de vies entre 2000 et 2015 », se réjouit le chercheur.

Mais ces armes sont menacées. « Leur efficacité commence à s’émousser car la plupart des moustiques en Afrique sont devenus résistants aux deux principaux insecticides qui imprègnent ces moustiquaires, alerte Frédéric Simard. Il faut rester innovant. Car les moustiques, eux, le sont ! »

« Effet rebond »

Cette résistance est de deux types. D’une part, les anophèles développent des mutations génétiques qui bloquent l’action de ces insecticides (de la famille des pyréthrinoïdes). D’autre part, ils modifient leur comportement : au lieu de piquer la nuit, quand les dormeurs sont protégés par une moustiquaire, ils se mettent à attaquer leurs cibles à l’extérieur des maisons, en début de soirée ou de matinée.

Au Sénégal, depuis 2009, des moustiquaires imprégnées sont distribuées tous les cinq ans par le Programme national de lutte contre le paludisme. Mais l’IRD a montré que leur efficacité s’émousse au bout de deux à trois ans. Survient alors le risque d’un « effet rebond » : « Si les gens utilisent moins les moustiquaires parce qu’ils constatent que leur efficacité baisse, ce sera une catastrophe ! », prévient Souleymane Doucouré, biologiste à l’IRD de Dakar.

Comment diversifier la lutte ? D’abord en découvrant d’autres molécules d’insecticides. « Mais c’est un processus long, coûteux et à contre-courant de la mode, peu favorable à ces outils chimiques », regrette Frédéric Simard, pour qui les insecticides doivent certes être maniés avec précaution mais sont très utiles.

Autre solution : le développement de répulsifs plus efficaces. Mais ceux-ci restent chers et inadaptés à un déploiement en Afrique. Et les pulvérisations d’insecticides intra-domiciliaires, de leur côté, font appel à d’autres molécules qui nécessitent « une logistique de mise en œuvre beaucoup plus lourde », pointe Souleymane Doucouré.

Course sans fin

Une lueur d’espoir émerge. « Une nouvelle génération de moustiquaires imprégnées devrait être disponible dans les prochaines années », annonce Philippe Duneton, directeur exécutif adjoint d’Unitaid, qui, au côté du Fonds mondial, va financer leur évaluation comparée. « L’enjeu est d’identifier les moustiquaires les plus performantes, les régions où les déployer et à quel prix. »

Ces dispositifs sont imprégnés de nouveaux insecticides mais aussi de molécules originales à longue durée d’action. Ils semblent prometteurs, comme en témoigne une étude publiée jeudi 12 avril dans la revue The Lancet. Dans 40 villages de Tanzanie, deux stratégies ont été comparées : une moustiquaire couramment utilisée et une nouvelle, imprégnée d’un insecticide de type pyréthrinoïde combiné à un produit à longue durée d’action, le PBO.

Les auteurs, des chercheurs de l’Ecole d’hygiène et de médecine tropicale de Londres, ont suivi 15 469 enfants de 6 mois à 14 ans entre 2014 et 2016. Résultat : par rapport à l’ancienne, la nouvelle moustiquaire réduit de 44 % la survenue des épisodes de paludisme après un an et de 33 % au bout de deux ans. Mais la course est sans fin. « Le PBO bloque les enzymes qui dégradent les insecticides. C’est une arme qui neutralise l’arme adverse… jusqu’à la prochaine parade du moustique », soupire Frédéric Simard.

Assainir les marais

Autre recours : attirer les moustiques dans des pièges reproduisant l’odeur corporelle humaine. Il faut d’abord identifier la « soupe de molécules » qui attirent ces insectes, comme l’acide lactique et le CO2. Testés pendant trois ans sur l’île kényane de Rusinga, sur le lac Victoria, par des chercheurs néerlandais et kényans, de tels pièges ont permis de faire chuter de 30 % les cas de paludisme au sein des ménages qui y ont eu recours.

Les chercheurs ont conçu une autre stratégie. Il s’agit de manipuler l’ADN du moustique pour y introduire un gène de résistance au paludisme qu’il transmettra à sa descendance. Rusé, mais encore exploratoire. « Ces moustiques sont déjà fabriqués en laboratoire mais n’ont pas été lâchés dans la nature : on ne mesure ni les risques ni les bénéfices de la libération de ces OGM », prévient Frédéric Simard.

Dernière voie, et non des moindres : assainir les marais et rendre les maisons plus salubres. Ces leviers de lutte ont prouvé, par le passé, leur puissance en Europe et aux Etats-Unis… En Afrique, ils contribueraient aussi au développement du continent.

Cet article a été réalisé dans le cadre d’un partenariat avec Roll Back Malaria (RBM).

Sommaire de notre série : Paludisme, la guerre d’usure

Dans une série en dix épisodes, Le Monde Afrique détaille les enjeux de la lutte contre cette maladie parasitaire qui a provoqué 445 000 décès dans le monde en 2016.

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