Dos courbé, tête baissée, Ouissem Medouni s’exprime dans un murmure, à peine audible dans la salle numéro six de l’Old Bailey, la cour criminelle de Londres.

- « Avez-vous causé la mort de Sophie Lionnet ?, lui demande son avocat, Me Orlando Pownall.

- Non.

- Avez-vous, avec Sabrina Kouider [sa compagne], prémédité sa mort ?

- Non.

- Avez-vous brûlé son corps ?

- Oui. »

Le procès du meurtre de Sophie Lionnet, jeune fille au pair française assassinée à Londres, dont le corps calciné a été retrouvé le 20 septembre 2017 dans le jardin de ses patrons, eux aussi français, est entré dans sa deuxième phase lundi 16 avril. Après la présentation de l’accusation, qui a duré presque un mois, la défense a débuté, avec le témoignage du premier des deux prévenus, M. Medouni, 40 ans. Avec Mme Kouider, 35 ans, il est accusé du meurtre et d’avoir tenté de dissimuler le cadavre, en le brûlant dans un brasier dans son jardin. Les deux accusés plaident non coupable.

Pendant les vingt mois qu’elle a passés dans leur maison de Wimbledon, pour les aider à s’occuper de deux enfants, Sophie Lionnet a vécu un long calvaire. Sur la fin, elle n’était plus payée, à peine nourrie et a vraisemblablement été torturée. Mme Kouider avait développé une obsession autour du père de son deuxième enfant, qu’elle accusait de pédophilie sur son fils. Dans sa folie, elle a progressivement imaginé que Sophie Lionnet était devenue la complice de cet homme et l’aidait secrètement à rentrer dans la maison familiale pour abuser des enfants. Pour faire « avouer » la jeune fille au pair, Mme Kouider a mené de longs interrogatoires, qu’elle a en partie filmés. Très timide, peu habituée à tenir tête, Sophie Lionnet a fini par se reconnaître certains torts, jusqu’à ce qu’elle soit assassinée.

Pour cette première journée de la défense, M. Medouni a été présenté par son avocat comme un homme faible, sous l’emprise de sa compagne, Mme Kouider, incapable de contrôler les accès de folie de cette dernière.

- « Qui était le partenaire dominant ?, interroge Me Pownall.

- Elle.

- Comment étaient ses humeurs ?

- Elle avait des hauts et des bas, des sautes d’humeurs en quelques secondes. »

Issu d’un milieu modeste, fils de plombier, ayant grandi dans la banlieue sud de Paris, M. Medouni a fait de bonnes études, devenant analyste financier. En 2001, il voit pour la première fois Mme Kouider dans une fête foraine. Il n’ose pas l’aborder mais obtient son numéro de téléphone par un ami, et finit par la rencontrer. « J’étais très heureux, elle était si belle. »

Crises de jalousie

Rapidement, le caractère de sa petite amie devient compliqué à gérer. Elle perd son emploi, puis s’installe chez le père de M. Medouni, faute de logement. Elle fait une tentative de suicide. Le jeune homme apprend qu’elle a été victime pendant son enfance d’abus physiques – dont la nature n’est pas précisée – « de son cousin et de son oncle ». A ces mots, Mme Kouider demande une suspension de séance et disparaît dans le couloir, poussant de longs hurlements.

En 2005, M. Medouni obtient un poste à Londres. Sa compagne le suit quelques mois plus tard, travaillant comme jeune fille au pair. Ils finissent par s’installer ensemble, dans une relation très tendue. « Elle se réveillait au milieu de la nuit, ayant rêvé que j’étais avec une autre femme, et elle me faisait une scène. »

Mme Kouider multiplie les périodes d’infidélité, aucun des deux enfants n’étant de M. Medouni. Mais à chaque fois, elle revient le chercher et M. Medouni devient de facto le père adoptif des enfants. « Je l’aimais », explique-t-il. Toujours pourtant, les crises recommencent : menace de suicide, fuite dans la rue pieds nus avec un des enfants dans les bras, scènes d’hystérie en public…

En janvier 2016, Sophie Lionnet vient s’installer comme jeune fille au pair, tandis que M. Medouni est absent en France pour six mois à la suite du décès accidentel de son père. Quand il revient à Londres, il découvre une jeune fille introvertie, « pas du genre à sortir », qui dort dans la chambre des enfants. Il ose à peine lui adresser la parole : « Cela rendait Sabrina [Kouider] jalouse. »

Lundi, M. Medouni évoquait des remords. En juillet 2017, Sophie Lionnet avait été agressée une première fois par Mme Kouider, qui lui avait tiré les cheveux. « J’aurais dû (…) lui acheter un billet et la renvoyer chez elle (en France) », a-t-il expliqué. « C’est allé crescendo après ça. Quand je repense à cette situation, je m’en veux vraiment. J’aurais pu l’éviter. » Son témoignage doit se poursuivre jusqu’à mercredi.