A Batroun, au nord de Beyrouth, en mai 2017, lors d’un pique-nique organisé dans le cadre de la première Gay Pride du monde arabe. / IBRAHIM CHALHOUB / AFP

Dans une vidéo mise en ligne lundi 16 avril, une quinzaine de figures et de simples militants de la cause LGBT (lesbiennes, gays, bisexuels et transgenres) dans le monde arabe lancent un message d’espoir à destination des minorités sexuelles, souvent discriminées ou persécutées dans cette région du globe.

Réalisé par l’ONG Human Rights Watch (HRW), en partenariat avec la Fondation arabe pour les libertés et l’égalité (AFE), ce court film, intitulé Plus jamais seuls, montre que les personnes LGBT d’Afrique du Nord et du Proche-Orient peuvent s’assumer et revendiquer leurs droits, malgré les préjugés de leurs sociétés, qui les traitent volontiers de « débauchés » et de « déviants », et les lois de leurs pays, qui criminalisent souvent leur orientation ou leur identité sexuelle.

La vidéo est composée de témoignages d’anonymes et de personnalités publiques, comme Hamed Sinno, le charismatique leadeur du groupe de rock libanais Mashrou’Leïla, et l’écrivain marocain Abdellah Taïa. Filmés à visage découvert pour la plupart, ils évoquent leur cheminement personnel, de la découverte de leur préférence sexuelle à son affirmation à haute voix, en passant par les regards de travers, les agressions parfois, les idées noires souvent, et dans tous les cas, l’expérience d’une terrible solitude.

Campagne résolument positive

« J’avais l’impression d’être le seul gay au monde », raconte Khaled, un militant LGBT irakien. « Je me sentais comme une aberration de la nature », renchérit Hamed Sinno. « J’étais en guerre contre moi-même, j’essayais de changer, mais ce n’est pas un choix, je ne peux pas changer », dit Hajjar, une Marocaine. « J’ai senti juste en me l’avouant qu’un poids énorme quittait mes épaules », poursuit Hamed Sinno.

« Mon père, qui était en opposition avec moi sur tout, est passé de la haine à la tolérance, il m’a aimée sans conditions », confie Dalia, une Egyptienne. « Tu n’es pas seul, nous sommes avec toi », plaide Omar l’Irakien. « Arpenter le chemin de l’acceptation de soi, ça te permet de voir à quel point tu es beau », argumente Islèm, un Tunisien. « Tu es gay, ce n’est pas une maladie, tu n’es pas contre la religion ou l’islam, tu n’es pas contre la culture, l’Etat ou ta famille », martèle Abdellah Taïa, qui conclut la vidéo d’un baiser de la main.

L’objectif de cette campagne, à la tonalité résolument positive, est de « briser l’isolement de millions de jeunes LGBT dans le monde arabe qui vivent dans un environnement hostile, affirme Ahmed Benchemsi, porte-parole de HRW. Imaginez un adolescent du Caire ou de Casablanca, qui ne comprend pas ce qui lui arrive, qui ne comprend pas les sentiments qu’il éprouve, et qui ne reçoit que des réactions négatives de sa famille, de sa société, de son Etat. Cette vidéo lui adresse un message d’encouragement, l’aide à se sentir plus fort ».

« Cette région n’est pas un trou noir »

La simplicité et la sincérité qui émanent des témoignages visent aussi à combattre la stigmatisation sociale dont les personnes LGBT sont l’objet. « Ça ne se fera évidemment pas du jour au lendemain, mais ce genre d’histoires suscitent une inévitable forme d’empathie », souligne Neela Ghoshal, chargée du dossier LGBT à HRW.

La vidéo est accompagnée d’un rapport emprunt du même volontarisme. Tout en détaillant la répression qui s’abat encore trop souvent sur les homosexuels dans le monde arabe – l’épisode le plus éloquent étant l’arrestation en septembre 2017 d’une cinquantaine d’homosexuels au Caire, à la suite d’un concert de Mashrou’Leïla où des drapeaux arc-en-ciel avaient été brandis –, il s’attache à mettre en valeur les progrès enregistrés par la cause LGBT dans cette région.

Le nombre d’association de défense des droits des homosexuels est passé par exemple de zéro en 2001 à plusieurs dizaines aujourd’hui. A la suite de la mobilisation de militants locaux, deux pays, le Liban et la Tunisie, ont pris des mesures pour interdire les examens anaux forcés, une pratique censée apporter la « preuve » d’une homosexualité. Autre évolution, au Maroc, des tribunaux ont condamné des auteurs de violences visant des homosexuels.

« HRW recense habituellement les violations des droits de l’homme (…) mais nous avons pensé qu’il était important de mettre en lumière les succès pour montrer que cette région n’est pas un trou noir », explique Neela Ghoshal. « Nous ne voulons plus de cette image qui nous pose en simples victimes, insiste Zoheïr Djazeiri, un militant algérien, cité dans le rapport. Nous voulons parler de réalité, de violence, mais aussi du positif. »

Une démarche qui ne plaît pas à tout le monde. A peine l’extrait de la vidéo de HRW était-il en ligne que deux quotidiens cairotes ont accusé l’ONG de « normaliser le vice » et de « propager la déviance » parmi la jeunesse égyptienne.