LES CHOIX DE LA MATINALE

Cette semaine dans la sélection cinéma de La Matinale, un festival de rétrospectives Fassbinder, l’adaptation d’un roman d’apprentissage, le retour de Miou-Miou et l’icône rock Nico revisitée.

FASSBINDER PARTOUT : trois rétrospectives et trois coffrets

En ce début de printemps, ce n’est pas seulement la nature, mais également le nom de Rainer Werner Fassbinder, qui refleurit un peu partout en France, à la faveur de plusieurs rétrospectives (à la Cinémathèque française, au Cinématographe de Nantes, à l’Institut Lumière de Lyon) et de la sortie concomitante de trois coffrets, comportant une quinzaine de pièces de choix, dans de nouvelles copies restaurées.

Il semble que l’on n’en ait jamais vraiment fini avec cette œuvre pléthorique, de laquelle ressurgit régulièrement quelque élément méconnu (il y a sept ans, le téléfilm Je veux seulement que vous m’aimiez, aujourd’hui la magnifique série Huit heures ne font pas un jour, qui sortira en salles le 25 avril). Fassbinder, petit frère tardif du nouveau cinéma allemand des années 1960-1970, fut un monstre de productivité, un stakhanoviste des plateaux, actif sur tous les fronts (théâtre, cinéma, télévision). Mathieu Macheret

LE CRÉPUSCULE DE L’ICÔNE : « Nico, 1988 », de Susanna Nicchiarelli

NICO 1988 Bande Annonce (2018) Biopic Musical
Durée : 00:41

Christa Päfggen est née en 1938, deux semaines après les accords de Munich. Elle est morte d’une chute à vélo, un après-midi d’été à Ibiza, à peine un demi-siècle plus tard, en 1988, un an avant la chute du mur de Berlin. Entre les deux dates, la petite fille qui avait fui Cologne pour échapper aux bombardements s’était fait mannequin, à Berlin puis à Paris. Devenue Nico, elle passe dans La Dolce Vita et atterrit au milieu des années 1960 à New York, où elle est embauchée dans l’usine d’Andy Warhol, qui fait d’elle, au grand dam de Lou Reed, la chanteuse du Velvet Underground.

Il faut convenir qu’elle est devenue une légende underground et elle consacrera les deux décennies suivantes à l’édification de ce mythe, marchande ambulante d’une musique funèbre et parfois sublime, muse de générations entières de rebelles (punk, new wave). Il lui fallait aussi survivre, échapper à la misère matérielle et à son addiction à l’héroïne.

Mieux vaut se familiariser avec cet itinéraire avant de rencontrer la Nico du film de Susanna Nicchiarelli, interprétée par Trine Dyrholm. C’est une femme prématurément vieillie, dont le discours mêle les traces d’une enfance en Allemagne nazie (poussées d’antisémitisme) et le souvenir d’une gloire passée. Appliquant à la lettre le programme énoncé dans son titre, Nico, 1988 suit pas à pas les dernières tribulations de la musicienne pour en faire un portrait qui tient à la fois de l’instantané et du masque mortuaire. Filmé presque brutalement par la chef opératrice Crystel Fournier (Bande de filles), Nico, 1988 ne sacrifie jamais à l’iconographie rock tout en approchant la réalité de cette musique comme rarement on l’a fait au cinéma. Thomas Sotinel

Film italien de Susanna Nicchiarelli. Avec Trine Dyrholm, John Gordon Sinclair, Anamaria Marinca (1 h 33).

ROMAN D’APPRENTISSAGE : « Mes provinciales », de Jean-Paul Civeyrac

MES PROVINCIALES - BANDE-ANNONCE OFFICIELLE
Durée : 01:18

Le roman français par excellence n’est-il pas, en quelque sorte, celui de la « montée » à Paris, cette ville monstre que l’on dompte ou qui nous dévore ? C’est le chemin que prirent, en leur temps, le Lucien de Rubempré de Balzac ou le Frédéric Moreau de Flaubert, et la tradition littéraire dans laquelle s’inscrit, aujourd’hui pour son nouveau film, le cinéaste Jean-Paul Civeyrac. « Provinciales » donc, car c’est de sa province, plus précisément de Lyon, qu’Etienne (Andranic Manet) se lance pour entreprendre des études de cinéma à l’université Paris-VIII Saint-Denis, laissant derrière lui sur le quai de la gare ses parents et sa petite amie.

Colocation, soirées, cours, nouvelles amours, nouveaux trajets, discussions à bâtons rompus, petits boulots… A quel temps appartiennent ces jeunes gens romantiques et ces filles de feu, inconditionnels de Bach, de Novalis et de Gérard de Nerval ? A la jeunesse éternelle, au Paris des années 1970 et du Diable probablement (1977) de Robert Bresson, ou à l’époque contemporaine ? Ce qu’atteste la présence des smartphones ou certaines références à l’actualité (la campagne d’Emmanuel Macron), est sans cesse antidaté par l’usage d’un noir et blanc atemporel, qui semble ressusciter les figures d’un passé encore proche, spectres du bouillonnement culturel et politique de l’après-Mai 68. Mathieu Macheret

Film français de Jean-Paul Civeyrac. Avec Andranic Manet, Gonzague Van Bervesselès, Corentin Fila, Diane Rouxel, Jenna Thiam, Sophie Verbeeck (2 h 17).

RETOUR DE MIOU-MIOU : « Larguées », d’Eloïse Lang

LARGUÉES Bande Annonce (2018)
Durée : 01:51

Rose et Alice (Camille Chamoux et Camille Cottin), deux sœurs que tout sépare, décident de s’occuper de leur mère, Françoise (Miou-Miou), qui vient de se faire larguer par leur père, parti avec une femme beaucoup plus jeune. L’opération de sauvetage consiste à l’emmener dans un camp de vacances situé sur l’île de la Réunion pour qu’elle puisse se changer les idées. Si l’idée part d’une bonne intention, Françoise a du mal à s’extirper de sa dépression et les trois femmes, de tempéraments très différents, vont devoir apprendre à cohabiter harmonieusement pendant ces quelques jours ponctués par de nombreuses rencontres.

Après le succès de la mini-série Connasse, et son adaptation cinématographique Connasse, princesse des cœurs, Eloïse Lang retrouve sa vedette Camille Cottin rejointe par l’humoriste et actrice Camille Chamoux pour le remake d’une comédie suédoise. Si Larguées peut d’abord donner le sentiment de se tenir sagement dans les clous de la comédie formatée, il faut patienter pour voir le film basculer dans une voie beaucoup plus personnelle et étonnante. Cette franche et modeste réussite tient à des qualités pourtant essentielles que l’on croise de moins en moins dans le genre pourtant très technique de la comédie burlesque : le sens du rythme, un véritable souci d’écriture qui ne se limite pas à enchaîner les gags, et une capacité à instiller continûment le chaos au sein de son dispositif. Murielle Joudet

Film français d’Eloïse Lang. Avec Camille Chamoux, Camille Cottin, Miou-Miou (1 h 32).