L’Union européenne interdit-elle, par ses textes, l’harmonisation sociale ? C’est en tout cas ce qu’affirme Adrien Quatennens, député « insoumis » du Nord, dans un tweet publié mardi 17 avril et abondamment partagé sur les réseaux sociaux.

Ce n’est pas la première fois que l’harmonisation sociale est remise en question, et ce notamment par des membres de La France insoumise : le 4 avril 2017, lors du grand débat des onze candidats à l’élection présidentielle, Jean-Luc Mélenchon avait avancé que l’harmonisation sociale était interdite dans les traités européens : « Vous n’avez pas le droit de décider en Europe que tel niveau de cotisations sera le même partout. Vous n’avez pas le droit de décider que telle ou telle activité sociale va être la même partout. Vous n’avez pas le droit », avait-il affirmé.

Des possibilités restreintes, mais des contournements nombreux

La réalité est pourtant plus complexe. L’harmonisation sociale, que l’on pourrait définir par le fait, pour l’Union européenne, de légiférer dans le domaine social afin que les règles soient les mêmes pour tous en Europe, existe. « Les deux exemples les plus concrets sont la directive de 2009 sur la sécurité et la santé au travail, qui fixe des prescriptions minimales, mais en réalité très contraignantes pour les employeurs, et la directive européenne sur le temps de travail, rappelle le juriste Vincent Couronne, auteur d’une thèse sur les compétences des Etats membres de l’Union européenne et membre du collectif de chercheurs en droit Les Surligneurs. Ces deux textes sont des avancées essentielles pour les Européens, et sont des cas concrets d’harmonisation sociale. »

Il est vrai que l’article 153 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne restreint les possibilités d’harmonisation des Etats membres. Ce texte dispose en effet que le Parlement et le Conseil ne peuvent adopter des mesures d’harmonisation « des dispositions législatives et réglementaires des Etats membres ». En pratique, cette règle est contournée. « Ce que fait l’UE, c’est qu’elle passe par sa compétence en marchés intérieurs, explique Vincent Couronne. Elle peut ainsi légiférer beaucoup plus facilement. »

De nombreuses législations ont ainsi été adoptées sur le fondement des dispositions relatives au marché intérieur. Citons, par exemple, la directive de 2004 relative au droit des citoyens de l’Union et aux membres de leur famille de circuler et séjourner librement – qui harmonise les conditions dans lesquelles un travailleur, un étudiant ou un retraité peuvent séjourner, voire travailler sur le territoire d’un autre Etat membre. Autre cas d’harmonisation adoptée par le biais des marchés intérieurs : le règlement de 1971 sur l’application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs qui se déplacent dans l’Union.

Travail de nuit, taxes sur l’alcool, TVA… des exemples d’harmonisation fiscale

« Le législateur européen intervient avec des prescriptions minimales en réalité très contraignantes et la Cour de justice en tire des conséquences nécessaires, qui s’appliquent à tous », rappelle Vincent Couronne. Le meilleur exemple est le cas du travail de nuit pour les femmes, qui a connu le même processus (arrêt Stoeckel de la Cour de justice de l’Union européenne, en 1991), dans le cadre de l’égalité de traitement entre hommes et femmes. Désormais, la France ne peut pas interdire aux femmes de travailler la nuit (sauf rares exceptions) et cette règle s’applique de la même manière partout dans l’Union. La France s’est mise en conformité avec le droit de l’Union en 2001.

Pour ce qui est de l’harmonisation fiscale, de nombreux exemples viennent contredire les propos de Jean-Luc Mélenchon et Adrien Quatennens. Le système de TVA fait, par exemple, l’objet d’harmonisations depuis une directive de 1967 (prévoyant par exemple un taux minimal – sauf pour des biens et services jugés essentiels – pour éviter des taux trop différents au sein de l’Union). Les règlements fiscaux des « droits d’accises », taxes touchant l’alcool, les boissons alcooliques, les tabacs et les boissons énergétiques, font également l’objet d’harmonisations – même si certaines d’entre elles ne sont que partielles.

L’Union européenne peut donc bien harmoniser les règles sociales et fiscales de ses Etats membres, et ne se prive pas de le faire.