La ferme  des « 100 noms », le 9 avril à Notre-Dame-des-Landes (Loire-Atlantique). Celle-ci a été détruite lors de l’intervention des forces de l’ordre. / GUILLAUME SOUVANT / AFP

La marge de négociation est extrêmement serrée. Désireux de ne pas s’embourber dans la « zone à défendre » (ZAD) de Notre-Dame-des-Landes, près de Nantes, l’Etat commence ce qui semble être une médiation de la dernière chance. La préfète de Loire-Atlantique devait recevoir à Nantes mercredi 18 avril une délégation de la ZAD, et les représentants d’associations antiaéroport. Signe de l’urgence à renouer le dialogue, l’exécutif a décidé de dépêcher Nicolas Hulot, le ministre de la transition écologique, pour présider la rencontre qui portera essentiellement sur la question des régularisations.

Le compte à rebours a débuté. ­Dimanche 15 avril, le président de la République, Emmanuel Macron, a sommé les zadistes – ces militants anticapitalistes ayant investi dès 2008 le bocage nantais pour le protéger et y développer des projets de vie alternatifs – d’entrer en voie de régularisation et de déclarer, à titre individuel, les activités qu’ils souhaitent mener sur la zone. Faute de quoi, « à l’issue du délai du 23 avril, a précisé le chef de l’Etat, tout ce qui doit être évacué sera évacué ».

« Laisser les chemins accessibles »

Une première vague d’expulsions, lancée le 9 avril, a donné lieu à ­quatre journées d’affrontements d’une rare violence qui ont fait d’innombrables blessés, tant du côté des gendarmes que dans les rangs des zadistes. Vingt-neuf squats, sur 97 recensés, ont été démolis. L’opération n’a rien réglé. Bien au contraire. Elle a ranimé le mouvement de soutien en faveur des zadistes et de leur projet de vie.

Près de 250 personnes sont installées durablement dans la ZAD, en dehors des « renforts » arrivés récemment en réaction aux expulsions. Stricto sensu, la grande majorité demeure hors la loi. Hormis quatre agriculteurs historiques réclamant la rétrocession de leurs terres expropriées, l’Etat ne recense que « 33 conventions d’occupation temporaire de parcelles », négociées avec des personnes ­dûment identifiées.

La préfète de région et de Loire-Atlantique, Nicole Klein, enjoint les zadistes de remplir un formulaire simplifié, élaboré par ses services, qui constitue une « amorce indispensable au processus de régularisation ». « Je n’ai pas changé de discours, énonce Mme Klein. Les occupants de la ZAD doivent décliner identités et projets agricoles ou para-agricoles avant la date du 23 avril. » La représentante de l’Etat a l’intention de « rappeler les conditions de projets agricoles sur la zone » : adhérer à la Mutualité sociale agricole, « payer son eau et son électricité, laisser les chemins accessibles à tous ». Geste d’ouverture : les personnes expulsées peuvent envisager une installation sur d’autres parcelles.

De prime abord, le dialogue paraît mal emmanché : la date couperet du 23 avril relève du « chantage par la terreur », estime un porte-parole de la ZAD. « On parle de main tendue, mais c’est surtout un revolver que l’on pose sur notre tempe », cingle Michel, 34 ans, dont l’habitat, baptisé la ferme des « 100 noms », a été rasé au cours de l’intervention des forces de l’ordre. Dominique Fresneau, coprésident de l’Acipa, principale association ayant lutté contre le projet d’aéroport, use de la même image, et parle de « compte à rebours infernal ».

Dans la ZAD de Notre-Dame-des-Landes, le 9 avril. / GUILLAUME SOUVANT / AFP

Mais c’est surtout l’individualisation des demandes de régularisation exigée par l’Etat qui fait débat. « On est prêts à défendre un projet collectif étayé par des démarches individuelles, mais il faut comprendre que la ZAD a bâti sa force, son originalité, sur les notions de collectif et de solidarité. Ici, tous les projets sont reliés les uns aux autres, interconnectés », explique Dominique Fresneau.

Un « Camille », prénom générique décliné à l’envi par les zadistes, confie sa « peur de voir l’Etat opérer une sélection dans les projets individuels », et pointe : « On sent comme une logique de vengeance de la part du gouvernement, comme s’il digérait mal sa décision d’abandonner l’aéroport, et comme s’il voulait à tout prix écraser toute forme d’existence en dehors du monde libéral ou du statut d’autoentrepreneur. » « Est-ce que le cadre individualiste laisse une place à des projets autres qu’agricoles ? », s’inquiète un autre camarade. « Cette histoire de noms a une connotation policière pour les habitants de la ZAD, confie Marcel Thébault, agriculteur historique. En déposant des projets individuels, certains ont peur de se désolidariser du groupe. Au moins quatre personnes se sont déclarées auprès de la Mutualité sociale agricole, d’autres sont prêtes à franchir le pas. Mais il faut aussi prendre en compte le fait qu’ici une personne menant un projet individuel prête souvent ses terres à des copains. »

« Le problème, c’est qu’il y a des gens qui revendiquent d’être en dehors de tout système, fustige Jacques Lemaître, président de la chambre départementale d’agriculture. Mais la création d’une grande communauté, sans dirigeant identifié, c’est impossible. Si tout le monde s’appelle Camille, on va où ? Ce serait le grand bazar, sans aucun responsable s’il survient un pépin, en matière de sécurité sanitaire par exemple. »

« Ce qui est sûr, dit Sarah, bergère de 29 ans, c’est que la vie d’un territoire rural ne se résume pas qu’à ses paysans. La richesse de la ZAD, c’est la somme de tout un tas de projets agricoles, artisanaux, sociaux, culturels qui se sont inventés ici, et il faut les préserver. »« Le formulaire de la préfecture ne peut pas fonctionner pour tout le monde, reprend M. Thébault. Il faut accepter l’idée qu’un village rural compte des personnes sans emploi. Et puis il y a aussi des gens qui s’engagent bénévolement. On a la chance d’avoir une bibliothèque qui fait venir des auteurs importants. Il suffit d’un peu de bon sens pour admettre que ce projet-là est intéressant. »

Les discussions entre la préfète et les occupants de la ZAD s’annoncent tendues, mais chaque camp veut croire en « une possible avancée ». « On n’est pas idiots, il y a des lignes qui peuvent bouger, indique un autre “Camille”. On a compris qu’il fallait faire évoluer nos positions et réfléchir à différents “cadres” permettant aux uns et autres de rester. Mais on veut avoir des garanties, trouver une forme qui n’exclut personne et qui n’étouffe pas notre volonté de porter des projets collectifs et solidaires. »

« Lâcher du lest »

« Il faut lâcher du lest de part et d’autre, affirme M. Thébault. Si on ne parvient pas à un accord, on saute tous dans le gouffre. » Mme Klein note que « les messages délivrés vont dans le bon sens », mais insiste : la convention d’occupation collective des terres, rêvée par les habitants de la ZAD, « n’est pas une forme qui cadre avec le droit, il faut une convention personnalisée ». « A l’origine de toute coopérative ou de tout GAEC [groupement agricole d’exploitation en commun], il y a des individus, parfaitement déclarés, qui s’engagent dans une démarche collective », abonde M. Lemaître.

La préfète est prête « à enchaîner les réunions toute la semaine » pour un dénouement pacifique : « Emmanuel Macron a dit qu’il y aura une intervention si… Je travaille pour empêcher ce “si”. »