Les députés parviendront-ils à adopter le projet de loi asile-immigration avant la fin de la semaine ? Cette perspective semblait de plus en plus compromise mercredi 18 avril, au terme d’une nouvelle soirée où les débats ont fait du surplace. Les députés n’ont pas encore achevé l’examen de l’article 3 d’un texte qui en compte 41. Depuis lundi soir les échanges sont faits de tirs croisés entre députés et parfois avec le gouvernement, sous forme d’attaques politiques, de rappels aux règlements et de questions ressassées aux ministres.

Le débat s’est cristallisé autour de trois antiennes. Il y a d’abord les accusations à l’égard d’une droite que les députés situés à sa gauche voient se rapprocher toujours plus de l’extrême droite.

Le porte-parole du groupe La République en marche (LRM, Gironde), Florent Boudié, avait ouvert le bal sur ce thème, mardi soir, quand les élus des deux forces politiques défendaient des positions identiques. « Les Républicains sont-ils devenus d’extrême droite ? Nous avons ce soir la réponse. Vous êtes à l’unisson idéologique, mes chers collègues », avait-il lancé. Mercredi soir, le député (La France insoumise, LFI) du Nord Ugo Bernalicis a lui, demandé « combien de personnes dans le pays parmi les membres des Républicains sont fichés L » pour « Lepénisation des esprits ». Des attaques qui n’ont plu ni à la droite, ni aux députés Front national (FN), en nombre pour participer à ce débat. « L’extrême droite, vous savez ce qu’elle vous dit ? Qu’elle n’est pas d’extrême droite ! », a voulu rectifier le député (FN) du Gard, Gilbert Collard.

LR dénonce un « plan caché de régularisation massive »

Les frontistes, eux, sont devenus les experts du procès en angélisme fait aux députés LRM. Mercredi, M. Collard leur a décerné ironiquement le « prix Nobel de la gentillesse sociale » évoquant un « concours des plus belles âmes ».

Mais la croisade qui a le plus accaparé les débats, mercredi soir, est celle menée par les députés LR. Ces derniers n’ont eu de cesse, depuis le début des débats, d’interroger le ministre sur ce qu’ils appellent un « plan caché de régularisation massive » d’étrangers en situation irrégulière en France.

« Lorsque nous aurons examiné l’ensemble des articles de cette loi, nous pourrons débattre de ce qu’il convient de faire au sujet des personnes qui se trouvent sans statut » (ni réfugié, ni expulsables) avait esquissé le ministre de l’intérieur Gérard Collomb en commission des lois (Le Monde du 13 avril). Certains députés LRM sont favorables à ce que des régularisations de personnes sans-papiers aient lieu, mais leurs homologues LR y sont très hostile et ils ont trouvé là un ressort pour électriser les discussions.

« Qu’est-ce que c’est que ces méthodes ? »

M. Collomb qui ne boude pas son plaisir dans les débats parlementaires leur a promis une réponse « le plus tôt possible vers la fin de ce texte », a-t-il tergiversé mercredi soir, avant de passer le relais pour la suite des débats à Jacqueline Gourault, dont il est le ministre de tutelle à Beauvau. Sans cesse interpellée sur la question des régularisations, celle-ci a fini par s’emporter. « Qu’est-ce que c’est que d’obliger un ministre à répondre ?, a-t-elle fulminé. « On ne fait pas de pression ainsi, mais qu’est-ce que c’est que ces méthodes ? »

Une déclaration qui a survolté les députés LR, offrant à leur patron Christian Jacob l’opportunité d’un rappel sur la séparation des pouvoirs. « Le gouvernement est responsable devant le Parlement ça n’est pas l’inverse », a-t-il lancé. « Vous êtes effectivement ici pour répondre aux députés », a abondé la députée socialiste du Calvados Laurence Dumont.

De l’autre côté de l’hémicycle, le déroulement des débats est aussi source de mécontentement. En début de séance mercredi soir, la députée (LFI) de Paris Danielle Obono demandait à pouvoir « terminer ce débat correctement » ce qui nécessiterait, selon elle, que l’Assemblée le prolonge de quelques jours.

« Obstruction parlementaire coordonnée »

Car contrairement à ce que la tendance des premiers échanges laisse paraître, le plus dur de ce texte n’est pas encore passé. Si la droite a pris l’ascendant politique lors des premiers jours, c’est pour mieux batailler contre les trois seuls articles qui l’insatisfont vraiment.

L’équilibre général du projet de loi est bien plus contesté par la gauche, qui devra combattre à partir de jeudi plusieurs mesures qui visent la réduction des délais de traitement des demandes d’asile. Cet objectif recherché par le gouvernement se fait au détriment des droits des aspirants à l’asile selon ses détracteurs. Socialistes, communistes et insoumis, remontés contre ces mesures, seront rejoints par une petite partie de la majorité. Les désaccords entre députés LRM, déjà visibles dans les débats, offrent d’autres braises encore sur lesquelles l’opposition peut souffler dans les débats.

« Nous sommes face à une obstruction parlementaire coordonnée entre les différents groupes d’opposition », dénonçait, flegmatique Pacôme Rupin, vice-président du groupe LRM mercredi soir. « L’objectif des Républicains c’est qu’on n’arrive pas au bout de ce texte ! », tranchait pour sa part Marc Fesneau (Loir-et-Cher), à la tête des députés MoDem.

Pour l’heure il n’est pas prévu que les débats aillent au-delà de la nuit de vendredi à samedi matin, quitte à terminer à l’aube. « S’il faut que cela déborde, ça débordera ! », estime toutefois M. Rupin qui rappelle que « l’Assemblée nationale a déjà siégé le samedi et le dimanche ». Selon M. Fesneau, « Les Républicains ne veulent même pas finir dimanche ». Reprise des débats à 9 h 30 jeudi matin.