Du billard à trois bandes. Dans le cadre de la difficile réforme de la chronologie des médias (l’ordre et les délais dans lesquels un film peut être diffusé à la télévision, en vidéo ou en vidéo à la demande après sa sortie en salle), treize organisations du septième art, représentant la totalité de la filière cinéma, ainsi que trois chaînes de télévision (Canal+, M6 et TF1) avaient demandé en urgence à Françoise Nyssen, la ministre de la culture, des mesures concrètes contre le piratage des films. Une pratique qui représenterait 1,3 milliard d’euros de manque à gagner annuel en France pour toute la filière.

Ces professionnels ont été entendus. Mercredi 18 avril, la ministre a annoncé qu’elle réfléchit à des « listes noires » de sites illégaux de streaming, qui seraient établies par la Haute autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur Internet (HADOPI). Ces listes mises à jour régulièrement devraient permettre aux fournisseurs d’accès, aux moteurs de recherches et aux annonceurs de bloquer l’accès à ces sites et de supprimer leur référencement.

« Placer la priorité sur la lutte contre les sites pirates »

Selon Mme Nyssen, « l’essentiel de notre arsenal porte sur le téléchargement pair à pair, aujourd’hui, alors que le piratage se fait dans 80 % des cas en streaming ou en téléchargement direct ». Signe que l’Hadopi, créée en 2009 pour envoyer des avertissements aux internautes fraudeurs, n’est plus adaptée aux pratiques actuelles des pirates.

La ministre reconnaît donc qu’il faut faire « évoluer le mécanisme de riposte graduée, en plaçant la priorité sur la lutte contre les sites pirates pour les assécher (…) et les faire disparaître ».

Ces propositions interviennent alors que plusieurs organisations représentant le cinéma indépendant menaçaient de boycotter mercredi une réception au ministère si aucune mesure anti-piratage n’était annoncée.

Un système obsolète

Quant à la chronologie des médias, la ministre a affirmé qu’« elle n’est plus adaptée, qu’elle est décalée par rapport aux usages » et « à l’évolution du paysage audiovisuel ». Malgré la médiation qu’elle a engagée pour réformer cet accord, « les discussions ne parviennent pas à aboutir », a-t-elle constaté.

« J’ai décidé de reprendre la main » a-t-elle dit, avec l’ambition d’avancer courant mai. Elle compte repartir sur la base des recommandations des médiateurs. Quitte à légiférer sans doute si aucun accord interprofessionnel n’a pu être signé.

Le système actuel est jugé totalement obsolète, en raison à la fois du piratage des films mais aussi de l’essor de plates-formes comme Netflix, qui finance désormais de façon importante la production cinématographique. Or, si un long-métrage financé par Netflix était projeté en salles en France, il devrait attendre… trois ans avant de pouvoir être mis en ligne sur sa propre plateforme.

Une concurrence « inéquitable »

La chronologie des médias reste une exception française : ailleurs, des contrats ad hoc lient les détenteurs des films aux exploitants de salles, aux télévisions, aux éditeurs vidéo ou aux plates-formes de services de vidéo à la demande par abonnement (SVoD), comme Amazon ou Netflix. Sans que personne n’y trouve à redire.

Toujours dans un souci d’éviter une concurrence qu’elle juge « inéquitable », la ministre souhaite imposer, dans le cadre de la révision de la directive européenne sur les Services de médias audiovisuels, les mêmes obligations de financement dans la création aux chaînes et plates-formes vidéos établies hors de l’Hexagone que celles auxquelles doivent se plier les acteurs français. Dans la même veine, elle espère imposer « un quota d’œuvres européennes sur les plates-formes de vidéo à la demande ».