Ce ne sont ni les assassinats, ni les viols, ni les enrôlements d’enfants soldats ou les actes de cannibalisme qui lui sont imputés au Liberia, mais un simple mensonge qui a envoyé Mohammed Jabbateh, ancien chef de guerre reconverti en exportateur de voitures dans la banlieue de Philadelphie, finir très certainement son existence derrière les barreaux.

Cet homme de 51 ans qui pensait bien avoir refait sa vie loin du théâtre de guerre qui a servi de révélateur à sa cruauté, avait été reconnu coupable, le 18 octobre 2017, de « fraude à l’immigration » et de « parjure » par un tribunal de Pennsylvanie. La sentence est tombée jeudi 19 avril : Mohammed Jabbateh, plus connu dans une première vie sous son nom de guerre « Jungle Jabbah », a été condamné à trente ans de prison.

Arrêté début 2016, l’ancien milicien n’a pas été jugé pour les crimes dont il serait responsable entre 1992 et 1995, alors qu’il officiait au sein de l’une des principales factions de la guerre civile, le Mouvement de libération uni pour la démocratie au Liberia (Ulimo), mais pour avoir tu son sinistre passé aux services d’immigration américains.

Ce procès a cependant une dimension symbolique forte et un caractère inédit, car jusque-là aucun Libérien n’avait été jugé, au Liberia ou à l’étranger, en relation avec les atrocités commises durant les deux guerres civiles qui ont occasionné au moins 150 000 morts entre 1989 et 2003.

Première victoire judiciaire

Par ailleurs, la traduction devant la justice de Mohammed Jabbateh a pour la première fois permis à quinze victimes directes ou leurs proches de témoigner devant un tribunal. Ce pas a été franchi grâce à l’abnégation de l’ONG suisse Civitas Maxima et de son organisation sœur Global Justice and Research Project (GJRP), appuyées par les autorités américaines. « Même s’il n’est pas jugé pour crime de guerre, cet effort de justice a eu un impact très positif sur les victimes. Pouvoir confronter M. Jabbateh et être entendu de manière respectueuse dans un environnement judiciaire, c’est important pour elles. On a obtenu une peine très lourde, c’est satisfaisant », juge Alain Werner, avocat et directeur de Civitas Maxima.

Face à l’impunité généralisée qui entoure au Liberia les responsables de la guerre civile, Alain Werner et l’ancien journaliste Hassan Bility, responsable du GJRP, ont commencé en 2012 à monter des dossiers contre les commandants installés à l’étranger. Mohammed Jabbateh est leur première victoire judiciaire, mais « un deuxième procès doit avoir lieu à Philadelphie en juin et d’autres sont prévus en Suisse et en Belgique l’année prochaine », se félicite Alain Werner. Leur objectif est simple : créer une accumulation de procès à l’extérieur du Liberia, qui obligerait les autorités de Monrovia à suivre le mouvement alors que jusque-là, « le climat d’impunité est absolument invraisemblable, il n’y a aucun effort de justice interne et aucune implication de la Cour pénale internationale ».

Malgré tout, l’avocat suisse veut croire que la pression se fait plus forte et que l’impunité des chefs de guerre n’est pas éternelle. « Pour la première fois, les Nations unies ont appelé à l’instauration de cours criminelles et les plus hautes instances religieuses ont appelé, il y a quelques semaines, à la tenue de procès », dit-il, avant de conclure avec détermination : « Nous nous battrons avec les victimes sans relâche ! »