Editorial du « Monde ». Coup de théâtre dans le conflit qui empoisonne Air France – et des dizaines de milliers de passagers – depuis plus d’un mois, avec déjà neuf jours de grève : Jean-Marc Janaillac, le PDG d’Air France-KLM, a annoncé vendredi 20 avril qu’il allait consulter l’ensemble des salariés sur les propositions refusées par les syndicats, qui se trouvent ainsi court-circuités.

La direction de la compagnie aérienne a fait plusieurs propositions depuis le début du conflit, toutes rejetées comme insuffisantes par l’intersyndicale, qui réclamait une augmentation salariale générale de 6 %. Le 16 avril, la direction a mis sur la table un projet d’accord portant sur une augmentation de 7 % sur quatre ans, dont 2 % en 2018 et 5 % sur les trois prochaines années ; cet accord a été soumis à la signature des syndicats jusqu’au 20 avril à midi.

Ce délai écoulé sans résultat, M. Janaillac a radicalement changé de méthode. Refusant « d’accepter ce gâchis après des années d’efforts » et misant sur un soutien minoritaire des personnels non grévistes à l’action de pilotes qui passent pour des enfants gâtés, le PDG en appelle maintenant à la base ; celle-ci sera consultée par voie électronique à partir du 26 avril, jusqu’à début mai. Mieux : M. Janaillac met sa démission dans la balance et s’engage à partir si la consultation aboutit au rejet de l’accord proposé.

Le pari est osé mais en dit long sur l’évolution des relations sociales au sein de la compagnie nationale. Aucune compagnie aérienne ne peut faire voler ses avions sans ses pilotes ; à Air France s’était donc installée une sorte de cogestion tacite entre la direction et les pilotes. Alexandre de Juniac, le prédécesseur de M.Janaillac, y a mis fin abruptement. Le syndicat national des pilotes de ligne (SNPL), très majoritaire chez les pilotes, a depuis adopté une ligne dure ; il est en pointe dans le mouvement de grève actuelle.

Amélioration fragile

Contrairement aux cheminots de la SNCF, orphelins d’un âge d’or de l’Etat-providence, les pilotes d’Air France, eux, sont les gagnants de la mondialisation. Leurs qualifications sont recherchées dans le monde entier par des compagnies qui cherchent à satisfaire une demande de voyages en hausse constante. Air France, en revanche, fait face à une concurrence très rude. Sa situation s’est améliorée ; la compagnie a enregistré, en 2017, sa troisième année d’affilée de résultats positifs – dont les pilotes veulent toucher les dividendes, après six ans de blocage des salaires, en dehors des augmentations et primes individuelles. Mais cette amélioration est fragile, et la rentabilité de la compagne française reste inférieure à celle de ses grandes concurrentes européennes, Lufthansa et British Airways.

M. Janaillac fait valoir que, dans la situation actuelle, avec, notamment, un prix du pétrole reparti à la hausse, Air France ne supporterait pas le coût de l’augmentation immédiate demandée par les syndicats. Ce coût aurait aussi pour conséquence d’affaiblir Air France par rapport à KLM au sein de la compagnie.

Dans un climat social tendu au niveau national, où la perte d’influence des syndicats est visible, le PDG d’Air France-KLM réussira-t-il à faire plier le puissant SNPL ? L’accord qu’il propose n’est pas déraisonnable. Si le référendum organisé n’a pas de valeur légale, il peut en revanche complètement inverser la dynamique sociale. C’est ce qu’avait tenté Christian Blanc, alors patron d’Air France, en 1994. Avec succès.