La formation pour les retraités ? « La demande est forte. L’ensemble de nos clubs ­dispensent déjà des cursus d’informatique ou de langues. » Pierre Erbs, président de la Confédération française des retraités, est un homme heureux. A la tête d’une structure regroupant 1,5 million de membres sur les 17 millions de retraités français, il représente une ­population en fort développement.

Selon la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statis­tiques (Drees) du ministère des solidarités et de la santé, les retraités français étaient 12 millions en 2000 et atteindront les 19 millions à l’horizon 2030, selon le Conseil d’orientation des retraites. Une population jeune – ceux qui arrivent à la retraite sont nés en 1955 – et en pleine forme. Et qui entend le rester. La formation fait partie de ce bain de jouvence. Tant et si bien que ces anciens constituent de « 13 % à 14 % des ­effectifs de la formation continue universitaire », précise la Conférence des ­directeurs des services universitaires de formation continue. Soit quelque 60 000 stagiaires chaque année.

Dénommés « public inter-âge » par l’administration, ces plus de 60 ans ­intègrent l’enseignement supérieur dans des filières en général non sélectives constituées de cours magistraux. Leur coût tourne autour de 300 euros pour un cursus qualifiant de trente heures. Ce peut être des for­mations « universitaires » de type histoire, philosophie, langues étrangères mais aussi des cours liés au bénévolat.

Nouveau projet de vie

« Beaucoup de nos membres se forment pour représenter les personnes âgées par exemple au conseil départemental de la citoyenneté et de l’autonomie, ou en tant que RU ­[représentant d’usagers] des cliniques et des ­hôpitaux », explique Philippe Serre, ­président de la Fédération nationale des ­associations de retraités, qui comptent 100 500 adhérents.

Le Conservatoire national des arts et métiers (CNAM), l’un des leadeurs de la formation continue en France, par­ticipe aussi à ce développement. Les retraités et préretraités de plus de 60 ans représentent ainsi de 15 % à 20 % des inscrits aux différents MOOC de l’école. Ces anciens « suivent des cours de mathéma­tiques, d’informatique – avec notre MOOC “écrivez votre premier program­me avec Java”. Nous avons autant de retraités ­inscrits que de jeunes de moins de 20 ans », commente Isabelle Gonon, la respon­sable des MOOC du CNAM.

Les motivations de ce public « inter-âge » sont en lien avec ce que Dominique Thierry, auteur de Soyez un retraité heureux (ESF Editeur, 2014), considère être les quatre piliers d’une retraite ­réussie. « Pour les 60 ans et plus, il est essentiel de structurer un nouveau projet de vie autour de l’entretien de son ca­pital santé, de ses ressources intellectuelles, ­affectives et des liens sociaux », précise ce coach certifié en transition professionnelle, qui réalise des formations ­financées par les employeurs (1 300 euros la journée) sur la préparation à la retraite.

« Comme vous pouvez le remarquer, les trois derniers piliers sont directement en lien avec l’inscription en université », souligne cet ancien DRH qui fut dirigeant d’un organisme de formation. La formation est alors vécue comme un moyen de se faire plaisir pour des salariés n’ayant pas exercé un métier qui leur plaisait. La motivation est aussi portée par la volonté de ­s’investir dans le monde associatif en professionnalisant sa démarche.

De faibles pensions, qui favorisent le cumul emploi-retraite

« Enfin, ces retraités décrochent des ­formations diplômantes dans le cadre du cumul emploi-retraite », poursuit Anna Dubreuil, coauteure de Préparer et bien vivre sa retraite (Prat Edition, 2017). L’idée est « qu’ils puissent refaire un petit bout de chemin professionnel en se formant. Tout cela est lié à la baisse de revenu occasionnée par l’entrée en ­retraite. Il faut alors travailler pour maintenir son niveau de vie ou réaliser de nouveaux projets ».

Car la pension moyenne du retraité est peu élevée. ­Selon la Drees, en 2015, elle s’élevait à 1 728 euros par mois pour les hommes et à 1 050 euros pour les femmes (1 283 euros net en moyenne).

Le nombre de retraités du régime général qui travaillent a augmenté de 50% entre 2009 et 2016.

La formation est donc soutenue par un fort développement du cumul ­emploi-retraite. Le nombre de retraités du régime général qui travaillent (cette caisse représentant 68 % des actifs) est, aujourd’hui, estimé à 368 504 (chiffre 2016). « Soit une augmentation de près de 50 % entre 2009 et 2016 », précise la branche statistiques, recherches et prospective de la Caisse nationale d’assurance vieillesse. D’autres chiffres englobant les autres régimes annoncent même 700 000 retraités ­cumulant ­emploi et retraite en 2017.

Se financer, comment et combien ?

Cette hausse s’explique avant tout par un changement de politique. « Nous étions dans une logique d’exclusion des seniors du marché du travail. C’est fini. On bascule vers une logique d’inclusion », explique Arnaud Chéron, directeur du pôle de recherche en économie de l’Edhec et l’un des auteurs de l’étude « Maintenir la formation continue pour les seniors : pourquoi, comment, combien ? », réalisée au sein de l’école de commerce, sur les dispositifs de soutien à la formation continue en faveur des salariés de plus de 50 ans.

Pour assurer ce financement de leur formation, les retraités peuvent utiliser leur compte personnel de formation (CPF) et le congé individuel de formation (CIF). Mais il faut le faire avant de partir à la retraite.

Cela a été la stratégie de Laurence Zanna, 58 ans, en retraite depuis deux ans. Cadre à la SNCF, cette spécialiste des ressources humaines a, en 2015, postulé auprès de l’Unagecif (l’organisme paritaire collecteur agréé pour les industries électriques et gazières, de transports et de services) pour ­financer un cursus de 1 080 heures (16 000 euros) de formatrice en arts plastiques de niveau bac + 2.

« J’ai déposé mon dossier en 2015 sans vraiment y croire. Je voulais éviter une mise à l’écart liée à des réorganisations, raconte-t-elle. Je savais que je pouvais me faire financer ce cursus, non pas pour une question de fin de carrière mais du fait de mon engagement associatif. Mon employeur a joué le jeu. » Son ­dossier a été accepté, moyennant 2 000 euros « payés de ma poche », précise-t-elle : « J’ai fini mon parcours à la SNCF par ce cursus. Cela a ­arrangé tout le monde. J’ai formé mon remplaçant. J’assure aujourd’hui des cours à raison d’un jour par semaine de façon ­bénévole dans une association liée à la SNCF. »

Reste que les employeurs demeurent, en général, réticents à financer des cursus diplômants pour leurs salariés les plus anciens. Même si les choses évoluent. De nombreuses manifestations se développent un peu partout en France. A chaque fois, le thème est le même : gérer la rupture créée par le passage d’une vie professionnelle accaparante à une retraite moins stressante. Avec comme conseil de se former pour développer son réseau, se maintenir en forme intellectuelle, voire trouver une nouvelle âme sœur.

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Le Monde publie, dans son édition datée du jeudi 12 avril, un supplément dédié à la formation continue dipômante. Car le projet de loi « avenir professionnel », qui sera présenté le 27 avril en conseil des ministres, impose une nouvelle philosophie, celle de salariés en mouvement « tout au long de leur vie », pour qui les diplômes et certifications seront une garantie d’emploi.

Les différents articles du supplément sont progressivement mis en ligne sur Le Monde.fr Campus, rubrique Formation des cadres et Le Monde.fr Economie, rubrique Emploi/Formation.