L’opposant Nikol Pachinian, le 22 avril à Erevan. / KAREN MINASYAN / AFP

La police a interpellé trois figures de l’opposition et plus de 200 manifestants, dimanche 22 avril, à Erevan, la capitale arménienne, après une série de rassemblements qui ébranlent depuis une dizaine de jours cette petite république du Caucase de 2,9 millions d’habitants. Des milliers de personnes protestent contre le maintien au pouvoir de Serge Sarkissian, président pendant dix ans, de 2008 à 2018. La Constitution arménienne limitant à deux le nombre de mandats présidentiels, M. Sarkissian, 63 ans, est devenu, le 17 avril, premier ministre au terme d’une loi controversée qui lui a transféré l’essentiel des pouvoirs.

La manœuvre du dirigeant arménien réputé prorusse, qui n’est pas sans rappeler celle de Vladimir Poutine échangeant les rôles, de 2008 à 2012, avec son premier ministre Dmitri Medvedev, provoque la colère d’une partie de la population. Les protestataires réclament son départ et dénoncent la corruption endémique, le chômage et la pauvreté. Dimanche, la tension est montée d’un cran après la brève entrevue organisée, le matin, dans un grand hôtel d’Erevan, sous l’œil des caméras, entre M. Sarkissian et le chef de file de l’opposition, Nikol Pachinian, 42 ans, un ancien journaliste aujourd’hui député. Les deux adversaires se connaissent de longue date.

« Langage de menaces »

La discussion a tourné court. Casquette sur la tête, en tee-shirt militaire, M. Pachinian, la main droite bandée, a pris le temps de s’installer sur son siège avant d’exposer les raisons de sa présence. « Je suis venu ici pour discuter des termes de votre démission et des conditions d’une transition pacifique et sans heurt du pouvoir », a-t-il expliqué. « Les enseignements du 1er mars n’ont pas été tirés », a répliqué le premier ministre, dans une référence aux événements de 2008 qui en a fait sursauter plus d’un en Arménie. Cette année-là, en effet, au moment où M. Sarkissian parvenait au pouvoir dès le premier tour de la présidentielle, dix personnes avaient été tuées lors de violents affrontements avec la police. M. Pachinian avait alors séjourné quelques jours en prison.

« Personne n’a osé et n’osera nous tenir un langage de menaces. Je vous le dis : vous ne comprenez pas la situation qui règne dans le pays. Elle est différente de celle que vous connaissiez il y a 15-20 jours (…). Le pouvoir est passé entre les mains du peuple », a riposté l’opposant, qui prône « une révolution de velours » en Arménie. « Ce n’est pas un dialogue, c’est un chantage », s’est exclamé M. Sarkissian en quittant la salle. Quelques instants plus tard, M. Pachinian était « sorti de force » par la police du cortège qu’il avait rejoint. Dans la soirée, les manifestants faisaient toujours face à d’importants effectifs policiers déployés au cœur d’Erevan. Le ministère de l’intérieur a fait savoir, dans un communiqué, que les forces anti-émeutes étaient autorisées « à recourir à la force ».

« Immédiatement après les menaces (…), le régime de Serge Sarkissian a violemment, impudemment et illégalement arrêté trois députés qui bénéficient de l’immunité [parlementaire] », a réagi Serj Tankian. Le très populaire chanteur du groupe de rock américain System of a Down, d’origine arménienne et résidant à l’étranger, a très vite apporté son soutien aux protestataires. Le 18 avril, M. Pachinian avait lancé un appel aux célébrités de la diaspora arménienne. L’ambassade des Etats-Unis à Erevan et la délégation de l’Union européenne en Arménie ont chacune exprimé leur « préoccupation » face à l’aggravation de la crise.