Maryline Baumard, journaliste chargée du suivi de l’immigration au Monde, a répondu aux questions des internautes sur le projet de loi asile et immigration qui a été adopté en première lecture, dimanche 22 avril, à l’Assemblée nationale.

Effrayant : Sait-on ce qui a poussé Gérard Colomb à envoyer des gendarmes contrôler la frontière avec l’Italie, au lendemain de l’opération de Génération identitaire ?

Maryline Baumard : Le ministre de l’intérieur, interrogé samedi 21 avril sur cette opération déjà en cours, avait répondu de façon assez molle. Entre samedi et dimanche, le débat a monté, les critiques ont été nombreuses et M. Collomb ne pouvait laisser ce groupe d’extrême droite gérer un des cols en lieu et place de la police aux frontières qui surveille cette zone.

Francette : Qu’est-ce qui, dans cette loi, permettra à la France d’empêcher l’arrivée de clandestins notamment dans les Hautes-Alpes ? Les passeurs Italiens, tels que ceux qui ont forcé le barrage de police dimanche, pourront-ils être sanctionnés ?

J’ai envie de vous dire : rien. La loi veut « dissuader » de venir et permettre de renvoyer plus facilement, mais elle n’empêche pas plus d’entrer en France. Beaucoup d’opposants à ce texte pensent qu’il ne changera pas grand-chose dans les zones frontières. C’était d’ailleurs le sens des interventions multiples du député Pierre-Henri Dumont, du Calaisis. Ce jeune député Les Républicains a beaucoup interrogé le ministre de l’intérieur sur ce point, sans obtenir vraiment de réponse. Eric Ciotti a fait la même chose avec les Alpes-Maritimes.

Citoyen européen : D’après Emmanuel Macron, sa politique migratoire devait à la fois être plus ferme avec l’immigration illégale mais apporter des choses positives pour les demandeurs d’asile. Pouvez-vous nous dire ce qu’il en est ?

Le chef de l’Etat et le gouvernement ont communiqué sur ce double vocabulaire, qui globalement reprend les termes de « fermeté » et d’« humanité ». En dépit de cette communication, répétée par un grand nombre de ministres, le projet de loi n’est pas équilibré. Je le résumerais volontiers en quatre points. Il a d’abord pour mission première de réduire la durée d’instruction de la demande d’asile. C’est un objectif humanitaire car il est important de protéger rapidement les gens qui en ont besoin, mais c’est aussi pour pouvoir renvoyer plus facilement les déboutés (aujourd’hui seuls 4 % sont directement renvoyés).

Le deuxième but de ce projet de loi est d’expulser plus facilement. C’est pour cela que la rétention passe de 45 à 90 jours. Je dirais que son troisième but, inavoué, est de dissuader de venir en France. Il y a un effet « anti-appel d’air » qui veut signifier aux migrants que la France, ce n’est pas facile. Et le quatrième point, lui, est composé d’une petite série de mesures qui adoucissent la vie des réfugiés en France et favorisent leur intégration. Ainsi, un détenteur de la protection subsidiaire aura d’emblée un titre de séjour de quatre ans au lieu des un an actuel, les frères et sœurs des enfants réfugiés pourront venir…

Théophile Deleau : Cette loi est trop à gauche pour la droite, trop à droite pour la gauche. Est-ce à dire qu’elle est équilibrée ?

Le gouvernement s’est servi de cette double critique pour faire croire à l’équilibre de son texte. Mais je ne pense pas que cela signifie quoi que ce soit. En fait, elle a été unanimement critiquée. Inopérante pour les uns, inhumaine pour les autres, bien trop « molle » pour la droite et l’extrême droite…

Mathilde : Les députés ont voté en faveur de l’exemption du délit de solidarité pour toute une série d’actions. Le citoyen français qui héberge un migrant n’aura plus à s’inquiéter de risquer d’aller en prison ?

Je crains fort que cet amendement, gagné de haute lutte sur le ministère de l’intérieur – qui n’en voulait pas – ne soit que de la poudre aux yeux. Je vous invite à relire l’article que nous avons publié samedi sur le site, sur les multiples poursuites que connaît aujourd’hui une association comme L’Auberge des migrants à Calais. Vous y verrez que les personnes ne sont pas poursuivies au nom de cet article du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, mais sur d’autres chefs d’inculpation.

Nous verrons une fois que la loi sera appliquée, mais je ne pense pas que le changement sera important. On est dans de l’affichage politique. Un petit groupe de députés voulaient ce changement, Gérard Collomb peut se prévaloir de les avoir entendus sur ce point.

Une agitatrice professionnelle : La distinction (artificielle) entre personnes demandeuses d’asile et migrant-e-s dit-e-s « économiques » a-t-elle été évoquée durant les débats parlementaires ou n’est-elle plus remise en question ?

Pour la troisième fois seulement dans l’histoire récente du pays, nous avons un texte de loi qui mêle l’asile et la politique migratoire. Ce n’est pas anodin. Je vous rappelle que la dernière loi sur l’asile datait de 2015 et la dernière loi migration de 2016… Traiter ces deux sujets ensemble crée un amalgame dans les esprits alors que l’opinion publique française fait déjà peu le distinguo entre un réfugié et un migrant économique.

Un apprenti juriste : Le texte de loi prévoit un allongement du séjour en centre de rétention. N’y a-t-il pas un risque de condamnation par la Cour européenne des droits de l’homme ?

Je ne pense pas parce que la France avait des durées d’enfermement inférieures à bien d’autres pays européens et qu’on reste à l’intérieur du cadre fixé par les directives. En revanche, notre problème porte sur l’enfermement des enfants. La France a déjà été condamnée au moins six fois par la Cour européenne des droits de l’homme.

A. Blrd : De quelle influence concrète disposent des autorités indépendantes telles que le Défenseur des droits ou la CNCDH sur les textes présentés ?

L’influence du Défenseur des droits et celle de la Commission nationale consultative des droits de l’homme se font à travers les médias et l’opinion publique. Si nous parlons de leurs avis, ils existent. Si nous n’en parlons pas, alors ils n’existent pas vraiment, puisqu’au final, l’administration ne se sent pas liée aux conclusions de ces deux instances.

Mélanie : Comment réduire la durée d’instruction de la demande d’asile ?

Aujourd’hui, l’Ofpra répond en un peu plus de trois mois et la CNDA en un peu plus de cinq mois. Les opposants à cette loi lui reprochent justement de compresser les délais de ces instances alors que les vrais temps morts sont ailleurs. Ainsi, le ministère de l’intérieur a expliqué dans l’étude d’impact qui accompagne sa loi, qu’il faut en général attendre vingt-et-un jours avant de passer devant une association qui elle-même fixe un rendez-vous en préfecture.

Pour agir sur cette première période, il suffit de donner plus de moyens aux préfectures, afin qu’elles enregistrent plus rapidement les demandes. Or, 150 postes ont bien été créés au budget 2018, mais comme les préfectures doivent renvoyer plus, elles ont pour beaucoup affectés ces moyens nouveaux ailleurs que sur les enregistrements…

Ge-meunier : Comment interprétez vous la non-participation au vote d’une centaine de députés La République en marche ?

Une partie des députés ne voulaient pas voter cette loi, mais ne voulaient pas non plus afficher cette réticence. Tous savaient que leur vote serait regardé à la loupe. A partir de là, s’abstenir, comme ils ont été 17 à le faire était un acte de résistance, alors qu’être absent était beaucoup plus discret. L’absence d’un tiers des députés de la majorité est un signe qui a été sous-analysé. Il ne faut pas oublier que Richard Ferrand, le patron du groupe La République en marche, leur avait signifié qu’il ne voulait voir qu’une seule tête et qu’eux-mêmes sont pour beaucoup des débutants, à leur premier mandat.

Pouvez-vous nous en dire plus sur l’équipe du « Monde » chargée de l’immigration et son fonctionnement ? Comment faites-vous en tant que journaliste pour prendre du recul sur ces questions clivantes d’immigration ?

Nous avons la chance au Monde d’être un certain nombre à travailler sur ce sujet. Notre réseau de correspondants suit de près la thématique sur leurs terrains respectifs. Au Monde.fr, Anne Guillard fait des séjours réguliers à Calais depuis plus d’un an. En politique, mais aussi en Planète, le sujet est aussi suivi.

Pour ce qui concerne mon traitement, je me fixe la ligne du reportage, considérant que rien de mieux que le terrain ne permet de raconter le quotidien des migrants en France. J’interroge le ministère de l’intérieur sur les sujets plus théoriques, ou les préfets sur les sujets en région. Mais je considère que je ne ferais pas mon travail si je ne déconstruisais pas les éléments de langage, savamment montés pour expliquer que tout va bien.

Les associations font partie de mes informateurs, et sont plus présentes que le ministère de l’intérieur, d’abord parce qu’elles répondent aux questions, ensuite parce qu’elles sont plus présentes sur le terrain.