Le programme de l’université libre de Tolbiac avant son évacuation vendredi 20 avril. / AFP PHOTO / STR / STR / AFP

Des « universités libres » ou « cours alternatifs » ont essaimé dans plusieurs établissements ces dernières semaines, dans le cadre de la mobilisation contre la réforme de l’accès aux études supérieures. C’était le cas sur le site de Tolbiac (Paris-I), jusqu’à son évacuation, vendredi 20 avril, et continue depuis à Nanterre, Grenoble, Rouen et d’autres encore, que les facultés soient ou non bloquées.

A Tolbiac, où le blocage du campus avait débuté le 26 mars, jusqu’à une dizaine de cours, débats ou ateliers étaient organisés chaque jour avant l’intervention des CRS. Au départ essentiellement consacrés à l’explication de la loi ORE et de ses conséquences, et mobilisant enseignants et étudiants de cette faculté de sciences humaines, ils se sont ensuite ouverts à de nouveaux publics et thématiques : la situation des cheminots, des hospitaliers, le projet de loi asile et immigration… Jusqu’à crouler sous les propositions d’interventions extérieures, Tolbiac étant devenu le lieu le plus emblématique de la mobilisation : « On a 60 e-mails de retard ! Des politiques, des professeurs de Montpellier, voire de Belgique font le déplacement », se réjouissait Lilly, chargée de l’accueil des visiteurs le mercredi qui précédait l’évacuation. Sans compter les propositions effectuées en interne sur un planning prévisionnel, qui comptait ce jour-là une quinzaine de pense-bêtes.

L’association Genepi, qui effectue des ateliers sociocréatifs dans les prisons, a ainsi organisé un cours en plein air, à l’ombre d’une des tours de Tolbiac. « Pour nous, c’est une manière de venir soutenir la mobilisation des étudiants et des cheminots, expliquait Julia, militante de l’association. Ils sont déjà militants, donc leur réflexion est plus ou moins poussée et leur prise de parole est plus facile que dans les établissements scolaires et facs où nous intervenons habituellement. Ils ont soif d’apprendre des termes techniques à réutiliser dans leur lutte quotidienne. »

Au même moment, un cours intitulé « Macron, sa société sans statut et sans cotisation sociale », était dispensé par Gérard Filoche, figure de l’aile gauche du Paris socialiste jusqu’à son exclusion après un tweet antisémite. « On va avoir Mai 68 ! Mais si on ne gagne pas cette année, il va falloir remettre le couvert, car l’an prochain ce sera pire », assurait cet ancien inspecteur du travail devant une assistance pas toujours équipée de carnets de notes, tandis qu’une étudiante passait le balai dans l’amphithéâtre.

« Une autre manière de transmettre le savoir »

Le fonctionnement des cours alternatifs à Tolbiac a inspiré ceux de l’université Paris-VIII, quand le campus a rouvert partiellement le 12 avril. Depuis, un grand tableau dans le hall de la faculté affiche les ateliers du jour. « Les cours alternatifs sont une autre manière de transmettre le savoir, constate Wafae, étudiante en seconde année de sociologie. On devient acteur, on travaille avec des profs. Je trouve ça très bien de montrer que les étudiants aussi ont des choses à transmettre. » Elle-même s’était rendue à Tolbiac, avec une de ses enseignantes, pour animer une conférence sur la réussite des filles issues de classes populaires.

Plusieurs de ses camarades ont présenté à d’autres étudiants de Saint-Denis, vendredi 21 avril, leurs travaux réalisés dans le cadre d’un cours sur « le choix des études dans l’enseignement supérieur », en résonance donc avec l’actualité. Après avoir, durant l’année, collecté des données statistiques sur les choix d’orientation, et dégagé différentes thématiques, comme les trajectoires atypiques, les différences entre les genres ou encore l’influence du capital culturel, « on voulait informer les étudiants, notamment ceux qui ne savent pas vraiment quelle est la situation avec la loi ORE, mettre des mots sur ce qui se passe », explique Wafae. Et de saluer l’émulation qui en découle : « Je passe beaucoup plus de temps à la fac depuis qu’on a lancé ces ateliers, on voit la fac d’une autre manière, on s’investit plus… »

« J’étais impressionnée par l’écoute des étudiants »

A l’université Grenoble-Alpes, une université libre a débuté le 6 avril à raison de trois à quatre cours ou événements quotidiens. Débats, projections et ateliers ont même continué durant la semaine de pause pédagogique, afin que le campus « continue de vivre ». « On propose aux étudiantes et étudiants étrangers qui sont à Grenoble pendant cette semaine de vacances de venir pratiquer le français en discutant avec nous », confirme Camille 22 ans, qui a également animé un atelier samedi sur la cybersécurité. « Pour s’organiser, on s’est inspirés du modèle que Tolbiac avait créé et d’autres facs aussi », raconte Jules Terrier, étudiant en sciences humaines appliquées et militant de l’UNEF, qui estime que ces cours rassemblent chaque jour « entre 70 et 100 étudiants ».

A Rouen, des cours alternatifs sont organisés depuis une dizaine de jours, en parallèle des cours habituels. La semaine dernière, quatre mineurs isolés étrangers ont été invités à témoigner dans ce cadre. « Ils sont venus parler de leurs situations administratives, de leurs parcours de migration et enfin, de leur rapport à l’école et surtout leur désir d’école, ça avait forcément une résonance particulière, se souvient Déborah Cohen, maître de conférences en histoire. J’étais très impressionnée par l’écoute des étudiants et la qualité de leur attention. »

A Paris-I, Armelle Andro, professeure depuis 17 ans, se dit également très admirative du travail des étudiants : « Des conférences, des cours alternatifs, des débats sont initiés par les enseignants ou les étudiants. Nous sommes dans un lieu au climat très serein, il y a un approfondissement des discussions et des échanges. C’est l’université qu’on cherche à avoir. »

Héloïse, en première année de sociologie à Paris-VII et croisée à Tolbiac, apprécie la forme de ces cours : « Je m’y sens plus détendue, c’est agréable ! Je suis libre de venir parce que j’ai envie d’apprendre, pas seulement avec le but d’avoir un diplôme à la fin. »