Michel Seydoux et Gérard Lopez, tout sourire lors de la conférence de presse sur la vente du club, en janvier 2017. / FRANCOIS LO PRESTI / AFP

Chronique. Il y aura mille leçons à tirer d’un éventuel drame lillois ; en voici déjà une : le football est une industrie comme une autre. L’histoire d’une institution centenaire pèse moins lourd que les bilans comptables et si Kodak, Arthur Andersen ou Lehman Brothers peuvent disparaître, alors Parme, Bastia et le LOSC aussi. Les clubs « too big to fail » ne sont pas si nombreux.

Comme l’économie traditionnelle, le football a ses gendarmes désarmés, ses surveillants aveugles. Menacé de relégation sportive en Ligue 2, le LOSC est surtout en fâcheuse posture financière, avec des charges insupportables au regard de ses revenus et des dettes, contractées l’an dernier par le nouveau propriétaire Gérard Lopez pour financer le recrutement, à rembourser dans quelques mois. Or, comme Le Monde l’écrivait vendredi dernier, la direction nationale du contrôle de gestion (DNCG) du football français aurait validé en 2017 le projet économique du LOSC sans prendre toutes les précautions nécessaires, ce qui a valu à son président de ne pas être reconduit.

Selon le récit d’un président de club influent, la Ligue de football professionnel (LFP) aurait soufflé à la DNCG de ne pas être trop regardante sur les montages financiers car le retour en France de l’entraîneur Marcelo Bielsa était bon pour les affaires. Le premier coupable, selon toute vraisemblance, fut le producteur de cinéma Michel Seydoux, pour avoir vendu le club à un propriétaire aux reins de grabataire – Gérard Lopez.

Aussi transparent que les comptes d’Enron

Le montage du rachat est aussi transparent que les comptes d’Enron : pour trouver la véritable société propriétaire du LOSC, il faut remonter aux îles Vierges, un paradis fiscal. Pour avoir de véritables informations sur la santé du LOSC, cette année, rien ne sert de pointer aux conférences de presse du domaine de Luchin. Mieux vaut lire les enquêtes de Mediapart et le registre du commerce luxembourgeois, où l’on vit en novembre apparaître – il fallut décrypter – l’identité des créanciers de Gérard Lopez, le fonds d’investissement spéculatif Elliott Management.

« Il était important d’expliquer à la DNCG les mécanismes de financement modernes issus du private equity et l’ingénierie financière qui peut être utilisée. »

Les deux interviews les plus significatives sur les projets du LOSC n’ont pas été données par un joueur, un entraîneur ni même un agent. Il y a d’abord celle, en août dernier, d’un avocat spécialisé dans les fusions-acquisitions, conseil de Gérard Lopez dans le rachat du LOSC. Question du magazine Décideurs : « Une transaction dans le milieu du sport est-elle comparable avec celle concernant deux entreprises classiques ? » Réponse de Barthélémy Courteault : « Techniquement oui, dans la mesure où l’acquisition concernait une SASP. Si le secteur fait l’objet d’une réglementation particulière, il n’y a pas de changement significatif. » Plus loin, l’expert explique qu’il a fallu expliquer à la DNCG « les mécanismes de financement modernes issus du private equity et l’ingénierie financière » utilisés pour racheter le club.

Ensuite celle il y a dix jours de Jean-Marc Mickeler, nouveau patron de la DNCG, démontant le projet d’un tacle les deux pieds en avant : « Ce que nous attendons, ce sont des vrais investissements en fonds propres et pas des financements avec des schémas de remboursements différés importants. Ce type de schéma peut fonctionner dans d’autres secteurs économiques, mais est beaucoup plus délicat à appliquer dans le football à cause de l’incertitude des résultats sportifs. »

Foutue incertitude du sport. Tout est mis en œuvre pour lui faire la peau mais parfois, elle continue de mettre en l’air les plus beaux des Powerpoint, avec promesse de plus-value à la revente et courbe de croissance des « revenus match day ».

Lobbying et fraude fiscale

La mésaventure lilloise – dont le risque qu’elle se termine mal augmente avec chaque apparition de ses joueurs sur un terrain de foot – peut-elle servir d’épouvantail au prochain projet de vente de grand club français ? Selon L’Equipe du lundi 23 avril, la mairie de Bordeaux pousserait un projet de reprise des Girondins porté par les entrepreneurs Daniel Hechter et Alain Afflelou, alors qu’un fonds d’investissement américain était jusqu’alors en pole position. Son projet de reprise était financé essentiellement par la dette.

La DNCG a désormais le pouvoir d’éplucher les projets de reprise de sociétés sportives, depuis une loi du 1er mars 2017 qui permet aussi de rémunérer partiellement les joueurs en « droit à l’image ». Cette loi permet aux clubs de payer moins de cotisations sur les salaires de leurs vedettes. Elle est l’aboutissement d’un important travail de lobbying du milieu du football français. Rappelez-vous : le football est une industrie comme une autre.

Les « Football Leaks » l’ont encore prouvé vendredi 20 avril en révélant un nouveau soupçon de fraude fiscale de Cristiano Ronaldo. Le quintuple Ballon d’or, ou ses conseillers, ne s’était pas contenté du Panama, des îles Vierges, de l’Irlande et de la Suisse pour contourner le fisc espagnol : il disposait aussi d’un trust à Jersey, dissous vingt-quatre heures après qu’il a reçu les questions des médias qui s’apprêtaient à révéler son existence.

Alors qu’on bouclait cette réjouissante chronique, on est tombé sur une interview au Télégramme de Christian Gourcuff, un entraîneur qui pensait connaître le football jusqu’à ce qu’il se trouve en mauvaise posture au Stade rennais de François-Henri Pinault, propriétaire de Kering et donc du club :

« Je me suis fait virer par la holding et des mecs que je ne connaissais pas. Le football n’échappe pas aux logiques d’une certaine économie, où des mecs débarquent un jour, font ton chèque sans état d’âme et tu pars. C’est d’une violence ! (…) Le foot c’est devenu ça. Ce côté superficiel, éphémère, il est lié aux investisseurs. On a basculé dans un système d’investisseurs, avec des Chinois, des Américains, pour lesquels l’aspect sportif n’est qu’un moyen de faire du fric. Le sport n’existe pas. Des types qui sont à Londres ou au Luxembourg… »

Là-dessus, on objecte : Kering, ce serait plutôt la Suisse.