Margrethe Vestager, la commissaire à la concurrence, lors d’une conférence de presse concernant le moteur de recherche de Google, en avril 2015 à Bruxelles. / FRANCOIS LENOIR / REUTERS

Editorial du « Monde ». Le danger vient parfois d’où on ne l’attend pas. C’est sans doute la conclusion à laquelle sont en train d’arriver les géants américains du numérique. Alors que l’Europe reste un nain du high-tech, incapable de faire émerger de nouveaux GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon), la Commission européenne, à force de persévérance, se dote peu à peu d’outils juridiques et normatifs susceptibles de juguler une puissance américaine qu’on croyait jusqu’ici incoercible.

Bruxelles met ainsi la dernière main à un nouveau projet de régulation des plates-formes en ligne. Il s’agit par exemple d’obliger Facebook ou l’App Store d’Apple à garantir des protections juridiques aux PME utilisatrices de leurs services. En outre, Google devra se justifier sur la façon dont le moteur de recherche hiérarchise les sites Web, une exigence de transparence censée rétablir l’équité dans la visibilité et donc l’accessibilité de ces derniers. Enfin, les GAFA devront mettre en place des instances de règlement des litiges, tandis que les ONG et les administrations publiques pourront saisir la justice au nom des utilisateurs.

Avantages indus

Cette nouvelle initiative de Margrethe Vestager, la commissaire à la concurrence, s’ajoute à une liste qui ne cesse de s’allonger. Fiscalité, concurrence, données personnelles : l’Union européenne attaque sur tous les fronts. Apple et Amazon doivent rembourser des avantages fiscaux indus. Google a été condamné pour abus de position dominante.

Fin 2017, la Cour de justice de l’Union européenne décidait qu’Uber n’était pas une simple plate-forme numérique, mais un opérateur de transport à part entière, devant, de ce fait, se plier aux mêmes règles que les taxis. L’idée d’une taxe numérique sur le chiffre d’affaires des géants du Web fait son chemin.

Enfin, le 25 mai, entrera en vigueur le Règlement général pour la protection des données (RGPD), constituant la première réponse juridique au scandale Cambridge Analytica, qui a déstabilisé Facebook ces dernières semaines.

Lorsqu’elle a été lancée, cette offensive a fait sourire, tant il était peu probable que la bureaucratie européenne soit capable de faire plier ces nouveaux maîtres de l’innovation. Puis, voyant que Bruxelles était résolue à poursuivre sa croisade, on a reproché à l’Europe de se recroqueviller sur une position défensive, faut de pouvoir développer ses propres champions dans ce domaine. Mais entre-temps, chacun a pris conscience, y compris aux Etats-Unis, du fait que les géants du Net ont joué aux apprentis sorciers en mettant au point des innovations certes fort utiles, mais sans aucune prise en compte de leurs conséquences sociétales.

Le mouvement est d’autant plus inquiétant que ces nouveaux empires engrangent des profits colossaux et captent une part toujours plus grande d’écosystèmes vitaux pour l’économie. Les bénéfices de 9,4 milliards de dollars (environ 7,7 milliards d’euros) réalisés par Alphabet, la maison mère de Google, au premier trimestre ne sont qu’une illustration de ce constat.

On sait désormais que l’autorégulation n’est qu’une illusion et que seule une intervention des Etats pourra remettre de l’ordre. Si l’Europe peine à émerger comme un troisième pôle d’innovation face aux Etats-Unis et à la Chine, elle reste encore le premier marché du monde pour ces technologies. Cette position doit nous servir à imposer nos principes juridiques et nos valeurs pour répondre aux défis lancés par ces nouveaux géants en attendant de pouvoir les concurrencer.