L’avis du « Monde » – à voir

Anniversaire oblige, les résurgences cinématographiques de Mai 68 fleurissent. Inédits, recyclés, cachés, retravaillés, synthétisés, restaurés, tout fait ventre. C’est de bonne politique, mais tout n’est pas nécessairement digne d’être retenu. Le meilleur film sur 68, les cinéphiles le connaissant bien, c’est une femme qui hurle qu’elle ne retournera pas travailler, cela dure neuf minutes, et cela s’appelle La Reprise du travail aux usines Wonder. On en reparlera à l’occasion de la reprise de l’également magnifique Reprise, d’Hervé Leroux, film qui part à la recherche de cette déchirante ouvrière ­devenue une sorte de mythe du cinéma militant.

Le film a été présenté à la première édition de la Quinzaine des réalisateurs, en 1969, à Cannes

En attendant, on a aimé Mai 68, la belle ouvrage, un film de Jean-Luc Magneron réalisé dans le feu des événements, présenté à la première édition de la Quinzaine des réalisateurs, en 1969, à Cannes, et qui sort toutes affaires cessantes. L’auteur est un globe-trotteur ­culturel. Il filme dans les années 1960 des cérémonies rituelles ou des enquêtes sociologiques en ­Laponie, chez les Indiens Navajo, en Haute-Guinée, au Dahomey, au Cameroun. Il s’intéresse par ailleurs autant à la poésie arabe qu’au kung-fu. Cet esprit ouvert et insatiablement curieux plonge au sein de la mêlée de 68 et en rapporte des images édifiantes, qui montrent, entre jets de grenades et barricades enflammées, la brutalité des confrontations.

Ces images forment une petite partie de la matière de son film, constitué pour l’essentiel de témoignages portant accusation, avec une précision difficilement réfutable, de l’utilisation délibérée et systématique des violences policières. Tel est le seul sujet du film de Jean-Luc Magneron, qui lui confère l’avantage, par rapport à beaucoup d’autres, d’un point de vue réellement documenté sur les événements.

Eclatant cynisme

Ouvert sur une intervention télévisuelle de Charles de Gaulle, en date du 7 juin 1968, durant laquelle le président de la République se félicite du sens de la mesure des forces de police face aux manifestants, le film est une réfutation de deux heures au terme de laquelle ce propos paraît d’un éclatant cynisme.

La litanie des témoignages – un peu répétitive, il faut le reconnaître – est néanmoins édifiante. Journalistes, médecins, étudiants, passants, résidents du Quartier latin unissent ici leurs voix pour décrire ce qui relève d’un scandale moral et d’une faillite de l’Etat de droit. Utili­sation de gaz asphyxiants, tirs de grenades à jet tendu, matraquage de gens à terre, tabassage de ­passants, cassage de gueule obligatoire par les « comités ­d’accueil » des commissariats, coups dans les parties génitales, viols de femmes, humiliations permanentes, cheveux scalpés au couteau, insultes haineuses, hom­mes ­déchaînés échappant à l’autorité des gradés, traitement spécial des étrangers… on en passe et des meilleures. Tout cela naturellement et soigneusement entretenu et couvert par l’Etat-Léviathan, parfaite incarnation de la monstruosité nécessaire, selon Thomas Hobbes, au bon ­gouvernement des peuples. A l’heure où, en France, les escadrons de CRS s’invitent de nouveau dans les enceintes universitaires pour y faire le ménage, la vision d’un tel film invite à une méditation sur l’évolution de notre société.

Documentaire français de Jean-Luc Magneron (1 h 57). Sur le Web : www.autourdu1ermai.fr/bdf_fiche-film-1069.html et www.film-documentaire.fr/4DACTION/w_fiche_film/20831_1