Un casino Partouche, au Havre, en 2006. / ROBERT FRANCOIS / AFP

Entre Partouche et la police, la guerre est déclarée. Un mois après une perquisition spectaculaire effectuée dans son casino de Cannes (Alpes-Maritimes), le groupe familial, l’un des deux principaux exploitants français de casinos, avec Barrière, riposte de façon inédite. Très en colère contre cette opération, les dirigeants de Partouche viennent de saisir la justice.

Ils ont déposé une plainte contre X pour violation du secret de l’enquête et de l’instruction auprès du procureur de la République de Nanterre (Hauts-de-Seine), ont-ils annoncé, jeudi 26 avril. Ils ont, en outre, effectué une citation directe en diffamation devant le tribunal correctionnel de Paris. Les deux actions visent directement le comportement de la police des jeux, accusée d’avoir « orchestré une campagne médiatique de discrédit » contre le groupe. Celui-ci entend ainsi obtenir « réparation intégrale du préjudice subi, en raison, notamment, des informations malveillantes et orientées, divulguées dans les médias ».

Tout démarre dans la nuit du samedi 10 au dimanche 11 mars. Il est minuit pile, lorsqu’un peu plus de 30 policiers débarquent au 3.14, un hôtel ultrachic un peu en arrière de la Croisette, dans lequel Partouche a déménagé depuis peu son casino cannois. Reconnaissables à leurs épais gilets « Police judiciaire » et à leurs brassards rouges, les policiers prennent possession du rez-de-chaussée, aménagé en casino, avec 75 machines à sous, et, surtout, du premier étage. Trois salons privés y sont réservés au poker, notamment au Omaha, une variante du jeu de cartes classique. La police procède à plusieurs interpellations et se fait remettre une série de documents, de vidéos de surveillance, etc.

Chute en Bourse

Bizarrement, une caméra de M6 est présente sur les lieux dès le début de l’opération, et filme le ballet des policiers chargés de dossiers et de sacs. C’est d’ailleurs par M6 que l’information sur cette descente policière est connue, dès le dimanche matin. Puis les dépêches commencent à tomber, évoquant des perquisitions dans deux autres casinos de l’entreprise, et une menace de fermeture administrative des trois établissements. Fausses rumeurs. Mais, en Bourse, le lendemain, tout ce grabuge fait mal. Le titre Partouche perd jusqu’à 17 % en séance, et termine la journée à son plus bas niveau depuis février 2016.

Depuis, il n’a pas remonté la pente. « Cette situation nous cause des problèmes colossaux, assure Fabrice Paire, le président du directoire de Partouche. Il y a eu tant d’articles négatifs dans les journaux que les banques hésitent à financer nos nouveaux projets… »

Or, aux yeux des responsables de Partouche, rien de tout cela n’est justifié. Après l’opération policière, deux dirigeants du casino de Cannes ont certes été mis en examen pour abus de biens sociaux, et deux autres personnes pour complicité et recel. Le président et le directeur général du 3.14 ont été placés sous contrôle judiciaire, assorti d’une interdiction de diriger ou de gérer l’établissement de jeux, a précisé le procureur de la République de Marseille, Xavier Tarabeux.

« Infraction nullement constituée »

Selon la police, des parties de poker, « au cours desquelles le montant joué était très supérieur à celui déclaré officiellement », auraient été organisées à Cannes depuis au moins dix-huit mois. « Le montant déclaré était parfois 20 fois inférieur à celui réellement joué », a précisé à l’AFP une source proche de l’enquête. Cette sous-déclaration créait « un système de blanchiment de fraude fiscale et de minoration des recettes fiscales pour le casino ».

La direction du groupe voit les choses tout autrement. Malgré cette opération policière à grand spectacle, Partouche estime n’avoir rien à se reprocher, et affirme que l’enquête fait fausse route : « A ce stade, nous considérons que l’infraction d’abus de biens sociaux n’est nullement constituée. » Le casino reste d’ailleurs ouvert. Mieux, l’exploitation du Omaha Poker, qui était au cœur de l’enquête, vient de reprendre. Suspendue sur décision du service central des courses et jeux (SCCJ) du ministère de l’intérieur, elle a repris, après l’accord de la direction des libertés publiques et des affaires juridiques. « S’il y avait eu le moindre doute, on nous aurait interdit de reprendre l’exploitation de cette table », assure Fabrice Paire.

Pour le président du directoire, l’heure de la contre-attaque est donc venue. « Chez Partouche, on ne se laisse pas marcher sur les pieds », dit-il. Même par la police chargée de surveiller les casinos et son puissant patron, Philippe Ménard !

Le commissaire Philippe Ménard critiqué pour sa « partialité »

D’où les deux actions en justice rendues publiques ce jeudi. « Les images qualifiées d’exclusives par M6 n’ont pu être réalisées que sur une information émanant des services de police et avec leur assentiment », affirme le groupe. Une accusation totalement réfutée par le ministère.

Partouche met aussi directement en cause le commissaire Philippe Ménard, critiqué pour sa « partialité ». Quelques jours après l’intervention nocturne, le chef du SCCJ avait donné une interview sur France Bleu Azur au sujet de l’enquête, évoquant le fait que des recettes avaient été « détournées » et n’excluant pas une fermeture administrative de l’établissement. « Cette interview est inacceptable, alors que le code de procédure pénale accorde au seul procureur de la République le droit de s’exprimer sur une procédure en cours », affirme Julia Minkowski, l’avocate de Partouche. C’est l’objet de la citation en diffamation, qui vise nommément le commissaire de police.

Au-delà du cas de Cannes, la direction du groupe est persuadée de payer des relations tendues d’assez longue date avec les policiers des jeux. « Ils nous considèrent comme des agitateurs, peu fréquentables, parce qu’on ne se laisse pas faire », déclare Fabrice Paire. Ce n’est évidemment pas en citant le patron de la police des jeux devant le tribunal correctionnel que ces relations vont s’améliorer…