Dame Wendy Hall lors de son discours d’introduction à l’édition 2018 de la Web Conf, le 25 avril à la Cité internationale de Lyon. / Sébastien Ferraro

La Britannique Dame Wendy Hall est professeure Regius de science informatique à l’université de Southampton et présidente de l’International World Wide Web Conference Committee (IW3C2), l’organisation chapeautant la prestigieuse conférence mondiale du Web (qui se déroule de lundi 23 à vendredi 27 avril à Lyon).

Elle animait mercredi une table ronde sur l’intelligence artificielle (IA) et l’avenir du Web, entourée du père du protocole www (World Wide Web), Tim Berners-Lee, et de représentants d’Amazon, d’eBay, de Facebook et de Google. A cette occasion, Le Monde l’a interrogée sur les enjeux sociétaux de la technologie.

De votre point de vue, quel serait le meilleur système de réglementation d’Internet ?

Dame Wendy Hall : Je pense que l’Europe a pris un excellent départ avec le RGPD [la loi de règlement général sur la protection des données, qui contraint les entreprises à ne plus collecter des données d’utilisateurs sans leur consentement]. L’Europe est plus investie sur ces questions que qui que ce soit.

Je pense qu’en un sens, tout le développement d’Internet est un énorme laboratoire à expérimentations pour le monde entier. Mon livre préféré est Le Guide du voyageur galactique [Douglas Adams, 1978] et, je raisonne beaucoup à sa façon : c’est comme si on faisait plein d’expériences et que l’on se demandait après coup ce qui pourrait tourner mal. Luciano Floridi a donné une conférence fabuleuse sur la question : le Web est devenu toxique, maintenant comment fait-on pour le dépolluer ? Par où diffuser des éléments positifs ? Quels outils pour cela ?

Vous dites que l’Europe est en pointe, mais elle semble surtout esseulée.

Nous sommes dans une phase où plusieurs expérimentations sont menées en même temps. Aux Etats-Unis, tout tourne autour des forces économiques, des principaux réseaux sociaux, moteurs de recherche et services du type Amazon. La Silicon Valley est au centre, et la philosophie est : laissez faire les entreprises. Par exemple, on ne veut pas de neutralité du Net, car on veut que les entreprises puissent facturer davantage les gros consommateurs. L’Europe est beaucoup plus tournée vers les questions de protection de la vie privée et de transparence, et c’est une excellente manière de se positionner. Il y a plein d’excellentes initiatives à mener dans ce sens, même si cela peut contraindre quelque peu l’innovation.

La Chine est radicalement différente, en raison de tous les pare-feu existant sur Internet. Il est très difficile d’accéder au Web mondial, tout est bloqué, et l’on sait maintenant que c’est un énorme pays de surveillance, car l’Etat peut avoir accès à toutes les données. Et puis il y en a un quatrième qui est entré dans la danse, la Russie, dont on connaît désormais le jeu [le Kremlin est accusé de fausser le jeu des démocraties occidentales à travers de faux comptes et de fausses informations massivement relayées sur Internet].

Pour ce qui est de l’éthique en tout cas, je pense que l’Europe va être la locomotive, et c’est une excellente chose.

La prise de conscience des enjeux éthiques des technologies du Web ne doit-elle pas commencer au niveau universitaire, là où les géants du Web recrutent ?

Oui, surtout du point de vue de la diversité. Il y a beaucoup de gens dans ce secteur qui aiment ce qu’ils font parce qu’ils y trouvent un défi, ils pensent souvent le monde du strict point de vue de la technologie, en se demandant comment rendre celle-ci plus performante ou plus rapide, mais ils n’ont pas nécessairement en tête les conséquences éthiques de leurs travaux.

Or il faut plus de diversité dans la recherche. Je ne parle pas seulement en matière de sexe, mais également de handicaps, d’ethnicité, etc. Nous avons besoin d’avoir toutes ces voix dans la technologie. Mounir Mahjoubi [secrétaire d’Etat chargé du numérique] en a fait un plaidoyer vibrant [jeudi 26 avril au matin, en clôture de la table ronde sur l’avenir du Web]. Le monde à venir sera très sombre s’il est uniquement dessiné par un petit groupe de jeunes ingénieurs masculins, blancs, issus d’Europe et des Etats-Unis, ou même de Chine. Cela donnerait une vision très étroite de la société. Il faut changer cela, mais il n’y a pas de solution facile.

A l’image de Facebook, qui s’est mué depuis peu en défenseur du RGPD, les géants du Web donnent l’impression de s’être sensibilisés à la question des enjeux éthiques. Est-ce aussi votre impression ?

Sur la diversité, oui, mais sur la vie privée, ils y ont été forcés. J’ai tenté de titiller Facebook sur la question du RGPD ; ils disent qu’ils sont prêts. Mais comment gérer cela quand on a une présence mondiale ? Une partie de leurs consommateurs, disons un tiers, l’Europe, va avoir une réglementation différente du reste du monde. Qu’est-ce qui s’appliquera à moi ? Je suis britannique, mais je vis aux Etats-Unis…