Des rues parsemées de nids-de-poule, des bâtiments officiels décrépis, un seul hôtel défraîchi : Mocimboa da Praia, dans l’extrême-nord du Mozambique, est une bourgade sans grand intérêt. Si ce n’est la mer, ses eaux turquoise et la pêche, principale source de revenus des habitants de cette zone retirée, bercée par l’océan Indien. Difficile d’imaginer qu’à 80 km se joue l’avenir économique de tout un pays.

Depuis 2010, plus de 5 000 milliards de mètres cubes de gaz ont été découverts au large des côtes, dans le bassin du fleuve Rovuma, qui fait la frontière avec la Tanzanie. Et les multinationales ont choisi Palma, jusque-là un simple village de pêcheurs, pour y ériger les infrastructures qui doivent faire du Mozambique le futur Qatar de l’Afrique.

Las, en octobre 2017, c’est la ville voisine de Mocimboa qu’un groupe d’insurgés islamistes a choisi de frapper. Depuis, les assaillants – que les locaux nomment « Al-Chabab » (« les jeunes », en arabe) même s’il n’y a pas de lien avéré avec le mouvement somalien du même nom – ont plongé la région dans l’inconnu. Si les autorités se gardent bien de donner un bilan précis, une dizaine d’attaques ont fait au moins une quarantaine de morts.

Fortement réprimés par les forces gouvernementales, les survivants du groupe se sont retranchés dans les forêts avoisinantes, d’où ils mènent des raids sporadiques contre les villages. Les dernières attaques rapportées par les médias locaux remontent aux 20 et 21 avril. Des maisons ont été brûlées, des villageois tués, essentiellement pour dérober de la nourriture.

EDF et Total intéressés

Jusqu’à présent, les sites gaziers n’ont pas été visés et les multinationales poursuivent leurs projets comme si de rien n’était. La major italienne Eni, la première à avoir lancé son méga-projet en juin 2017 – une plateforme flottante d’extraction et de liquéfaction d’un coût de 8 milliards de dollars (environ 6,6 milliards d’euros) –, ne s’estime pas concernée. « Eni n’a pas de personnel dans cette zone, toutes nos activités sont offshore », affirme un représentant à Rome.

Du côté de l’américain Anadarko, l’autre grand groupe chargé du destin gazier du Mozambique, on « prend très au sérieux toute menace portant atteinte à la sécurité des personnels », explique une représentante depuis Houston. « Les projets se poursuivent, avec une grande attention portée à l’environnement sécuritaire », ajoute-t-elle, sans plus de détails.

En mars, le gouvernement a approuvé le plan de développement d’Anadarko pour l’exploitation du champ gazier de Golfinho-Atum. Il reste désormais à la firme texane à convaincre suffisamment d’acheteurs pour boucler le financement (estimé à 12 milliards de dollars) et lancer officiellement la construction des infrastructures, au plus tôt fin 2018. En février, Electricité de France (EDF) a signé un contrat d’achat portant sur 1,2 million de tonnes de gaz liquéfié par an pendant quinze ans, tandis que Total serait également en discussion.

« Pour l’instant, la menace reste mineure, car les insurgés n’ont pas démontré leur capacité à viser des opérations commerciales, qui sont de toute façon dotées de gros dispositifs de sécurité, résume Barnaby Fletcher, du cabinet d’analyse des risques Control Risks. Les entreprises suivent néanmoins la situation avec attention, car il y a un fort potentiel pour que la situation devienne bien plus volatile. »

Soufis contre wahhabites

Jusqu’à récemment, c’est le centre du pays qui concentrait l’attention de la communauté internationale. L’ancienne rébellion de la guerre civile (1976-1992), la Résistance nationale du Mozambique (Renamo), qui a repris les armes en 2013, s’y est opposée aux forces gouvernementales lors de heurts sanglants jusqu’à fin 2016. Le leader de l’opposition, Afonso Dhlakama, vit toujours retranché dans les montagnes de Gorongosa dans l’attente d’un nouveau traité de paix.

Les attaques à Mocimboa ont depuis mis un coup de projecteur sur le nord du Mozambique, où les facteurs d’instabilité sont multiples. « C’est une zone où les divisions se superposent : il y a un véritable problème social, politique et religieux qui a déjà causé des problèmes par le passé », estime le chercheur suisse Eric Morier-Genoud.

La communauté musulmane, majoritaire dans la moitié nord, est depuis longtemps parcourue de tensions, entre la branche soufie qui pratique un islam modéré depuis plusieurs siècles, un leadership religieux installé à Maputo et sous influence des wahhabites, présents au Mozambique depuis les années 1960, et des jeunes qui ne se reconnaissent ni dans l’un ni dans l’autre.

« Ces jeunes sont allés étudier en Tanzanie, au Soudan, en Arabie saoudite. Et une fois rentrés, ils ont commencé à propager leur idéologie, explique l’administrateur adjoint de Mocimboa, Antonio Melembe. Puis, confrontés au contexte de pauvreté et d’analphabétisme, ils se sont très vite radicalisés. »

« Narco-Etat » en gestation

Malgré les richesses de son sous-sol, la province de Cabo-Delgado est la moins développée du Mozambique. Or l’euphorie générée par la découverte du gaz et par les investissements liés à la phase d’exploration est retombée comme un soufflé lorsque les entreprises se sont retirées, en 2015, en attendant de trouver acheteurs et investisseurs. Depuis, l’attente s’est transformée en frustration, une potentielle source d’animosité vis-à-vis des multinationales. « Les entreprises gazières le savent bien : même s’il est bien géré, un tel flux d’investissement dans une région aussi défavorisée génère toujours de l’instabilité », estime Barnaby Fletcher.

Enfin, la région est réputée pour les réseaux criminels qui y pullulent, souvent avec la complicité de responsables gouvernementaux haut placés, comme le révélait WikiLeaks en 2010, évoquant un « narco-Etat » en gestation. Drogue, ivoire, pierres précieuses, blanchiment d’argent… La zone est sur la route de tous types de trafics entre l’Asie et l’Afrique du Sud.

A seulement 300 km au sud-ouest de Mocimboa, Montepuez renferme les plus grandes réserves de rubis d’Afrique. Des mineurs viennent de tout le continent pour y prospecter illégalement. Or début 2017, les autorités mozambicaines ont lancé une vaste opération de nettoyage. Plus de 7 000 mineurs ont été expulsés sans ménagement. De quoi alimenter des sentiments de vengeance contre l’Etat et fournir de nouvelles recrues aux « Chabab ».

Tous les regards sont désormais tournés vers Maputo et sur la façon dont le gouvernement compte endiguer l’insurrection islamiste. S’il se focalise sur la répression sans réduire les inégalités, la situation pourrait perdurer. « Nous sommes assis sur un baril de poudre », résume Antonio Melembe.