En 2017, lors de sa visite dans la vallée de l’Arve, le ministre Nicolas Hulot avait été accueilli par une manifestation anti-pollution. / GILLES BERTRAND / CIT'IMAGES

En septembre 2017, Nicolas Hulot avait choisi la vallée de l’Arve (Haute-Savoie), « une des plus polluée de France », selon les termes du ministre de la transition écologique et solidaire, pour son déplacement sur le thème de la qualité de l’air. Aux habitants excédés de ce territoire coincé entre les montagnes au pied du mont Blanc, il avait expliqué qu’il n’avait pas de « baguette magique ».

Depuis, 540 plaintes contre X pour mise en danger d’autrui ont été déposées auprès des gendarmeries du département conduisant le parquet de Bonneville à ouvrir une enquête préliminaire. Et quatorze familles de plaignants s’apprêtent à ouvrir un deuxième front judiciaire et vont lancer, mercredi 2 mai, une vague de recours pour « carence fautive » de l’Etat devant le tribunal administratif de Grenoble.

Parmi ses plaignants figurent les représentants légaux de quatre enfants. Ils demandent jusqu’à 100 000 euros d’indemnisation pour les préjudices subis. Les recours s’appuient sur des dossiers médicaux épais. « Ces enfants souffrent de pathologies que nous estimons liées à la pollution : asthme, otites, pneumopathies… », explique au Monde François Lafforgue, l’avocat qui défend les familles.

« Une urgence sanitaire »

Mallory Guyon est médecin généraliste aux Houches et habite à Passy, dans la vallée :

« Dans mon quotidien de médecin, je constate de plus en plus de pathologies ORL et respiratoires, longues, persistantes et difficiles à traiter. Ça m’interpelle. Des patients me racontent que lorsqu’ils partent en vacances ailleurs, ils respirent mieux. Et, a contrario, d’autres me disent que quand ils viennent dans leur résidence secondaire dans la vallée, ils se mettent à tousser au bout de deux jours. »

La docteure Guyon a décidé de s’impliquer au sein du collectif local Coll’air pur santé qui coordonne les plaintes avec le soutien d’Ecologie sans frontière, l’association qui avait la première porté plainte contre l’Etat après les pics de pollution de 2014. « On organise la résistance, explique Mme Guyon. On n’attaque pas de gaieté de cœur. L’objectif est de susciter une prise de conscience générale dans le pays, que chaque Français se rende compte qu’il s’agit d’une urgence sanitaire. »

A l’échelle de la France, on estime que la pollution de l’air est à l’origine de 48 000 morts prématurés chaque année. Selon une étude de Santé publique France de septembre 2017, les seules particules fines PM2,5 (de diamètre inférieur à 2,5 µm) seraient responsables de 8 % de la mortalité annuelle dans la vallée de l’Arve, soit 85 morts. Une baisse de 30 % des concentrations annuelles de PM2,5 permettrait de diviser par deux cette mortalité.

Or, pour la docteure Guyon et maître Lafforgue, c’est l’« inaction » de l’Etat et des autorités administratives qui est en cause. Et ils ne sont pas les seuls à le penser. La vallée de l’Arve est l’une des 14 zones de dépassements des normes européennes de qualité de l’air (PM10 inférieurs à 10 µm et dioxyde d’azote) qui valent à la France d’être sous la menace d’un renvoi devant la Cour de justice de l’Union européenne et d’avoir été enjoint par le Conseil d’Etat de prendre rapidement des mesures pour réduire la pollution.

Nicolas Hulot a présenté le 13 avril quatorze « feuilles de route » élaborées avec les préfets de région. Celle concernant la vallée de l’Arve et ses 155 000 habitants prévoit notamment d’amplifier les aides (Fonds air bois énergies) pour réduire le recours au chauffage au bois ou de privilégier le report modal de la route vers le ferroviaire pour le transport des marchandises et des voyageurs. Des mesures jugées « insuffisantes et pas assez ambitieuses » par les associations.

« Tout est à revoir »

« Ces plaintes ont pour objectifs de faire bouger l’Etat. Il doit agir vite et bien, exhorte Mme Guyon. Ici, tout est à revoir de façon urgente : le chauffage, les infrastructures routières, l’industrie. » Le chauffage au bois est la principale source de pollution dans la vallée. Mais pas la seule. Elle accueille aussi de nombreuses usines spécialisées dans l’industrie du décolletage. Et chaque année, elle est traversée par les flots de touristes qui accèdent aux stations de ski depuis l’A40 et près de 600 000 poids lourds empruntant le tunnel du Mont-Blanc.

En janvier, la communauté de commune Pays du Mont-Blanc se félicitait d’une qualité de l’air « en nette amélioration » en 2017. Pour la première fois que des mesures sont effectuées dans la commune savoyarde de Passy, les jours de pic de pollution (supérieur à 50 µg/m3 en PM10) n’ont pas excédé la limite européenne (trente-cinq jours). Vingt et un ont été recensés, contre 36 en 2016 ou 44 en 2015. Mais comme le fait remarquer la docteure Guyon, pour ses patients, le plus dangereux, ce ne sont pas les pics mais la « pollution chronique ».

Les familles de la vallée de l’Arve ne sont pas les premières victimes de la pollution de l’air à déposer un recours pour carence fautive de l’Etat. En juin 2017, comme Le Monde l’avait relaté, Clotile Nonnez, une professeure de Yoga vivant dans la capitale, avait saisi le tribunal administratif de Paris. Près d’un an après, son cas n’a pas encore été traité mais son état de santé s’est un peu plus dégradé.