Lundi 23 avril, le tribunal de grande instance (TGI) de Djibo, dans le nord du Burkina Faso, a été contraint de fermer ses portes. La raison : le départ de la totalité de son personnel judiciaire, soit six magistrats et huit greffiers, effrayés par la menace terroriste. « L’absence de dispositif sécuritaire idoine a conduit le personnel en fonction dans ce tribunal à quitter ladite localité », a indiqué le Conseil supérieur de la magistrature dans un communiqué daté du 24 avril.

Cette décision a été motivée « par des rumeurs persistantes qui faisaient état d’une attaque imminente du palais de justice », précise, sous le couvert de l’anonymat, un fonctionnaire désormais réfugié à Ouagadougou : « Plusieurs personnes nous ont alertés que le TGI était ciblé et on nous a conseillé de quitter la zone rapidement. » Selon une source sécuritaire, des djihadistes prévoyaient « une opération d’envergure » contre plusieurs sites du chef-lieu de la province du Soum.

Installé dans la localité depuis plusieurs années, le fonctionnaire raconte : « On vit dans une psychose permanente. Dès que la nuit tombe, on s’enferme chez nous. Ici tout le monde sait que nous travaillons au palais de justice, nous ne pouvons pas nous cacher. On ne peut faire confiance à personne, c’est difficile psychologiquement. » Depuis 2015, les magistrats et greffiers du TGI de Djibo ont traité plus de 50 dossiers de djihadistes présumés, ce qui fait d’eux des cibles toutes désignées.

« J’ai épuisé mon quota de courage »

« On exerce la peur au ventre. Personnellement, j’ai épuisé mon quota de courage », poursuit notre source, qui réclame le renforcement du dispositif de sécurité autour du palais et de son domicile. Selon cet agent, le personnel se plaint de ne pas avoir le matériel suffisant pour faire face à une éventuelle attaque. « Nous ne reviendrons pas tant que des moyens ne seront pas mis en place », affirme-t-il. Beaucoup craignent des représailles à leur retour.

Jeudi 26 avril, le ministre de la justice a reçu plusieurs acteurs du secteur pour faire le point sur la situation. « On a haussé le ton car ça fait longtemps que nous demandons des mesures », rapporte un porte-parole d’un syndicat de la magistrature, irrité : « Aujourd’hui, la question est d’assurer les conditions de sécurité des juges pour qu’ils puissent exercer en toute liberté. Si les magistrats se mettent à avoir peur de condamner les coupables, c’est que le terrorisme a gagné. »

Ces derniers jours, les assassinats ciblés et les enlèvements de fonctionnaires se sont multipliés dans le nord du Burkina Faso, théâtre d’attaques djihadistes régulières depuis 2015. L’assassinat du maire de Koutougou, le 8 avril, et le rapt d’un enseignant à Bouro, quatre jours plus tard, ont tous deux été revendiqués par le groupe Etat islamique dans le Grand Sahara (EIGS).

« Le dernier rempart de l’autorité »

Face à la montée de l’insécurité, plus de 5 000 personnes ont fui leur domicile dans le Soum, depuis janvier, pour se réfugier dans des localités plus au sud, selon les estimations de la Croix-Rouge. Près de 200 écoles sont toujours fermées dans les régions du Nord et du Sahel, affectant plus de 20 000 élèves et 895 enseignants. « La population fuit, les écoles ferment, certains commissariats ont cessé de fonctionner. Si les terroristes arrivent à attaquer le dernier rempart de l’autorité, la justice, que reste-t-il ? », s’inquiète notre source du tribunal de Djibo.

L’homme explique que la situation s’est encore tendue il y a quelques semaines avec l’arrivée de groupes d’hommes armés à quelques kilomètres de là : « Des membres d’Ansaroul Islam sont venus prêcher dans des mosquées. Les chefs et les imams ne peuvent pas s’opposer. Les djihadistes disent alors à la population qu’ils n’en ont pas après elle et qu’ils visent les forces de sécurité, les juges et ceux qui les dénonceront. »

Du côté du ministère de la justice, Bachirou Nana, chargé de la communication, a assuré le 30 avril que des actions étaient en cours « pour que le tribunal puisse rouvrir dans les jours à venir », sans plus de précisions. Dans un communiqué, les forces armées burkinabées ont annoncé avoir mené plusieurs opérations, du 19 au 27 avril, le long de la frontière malienne, ayant conduit à « l’interpellation d’une centaine de personnes suspectes, l’arrestation d’individus recherchés ainsi que la neutralisation d’engins explosifs ».