L’avis du « Monde - A voir »

Sur ce sol – la périphérie d’une ville française loin de Paris –, les catastrophes poussent mieux que le bonheur. « Comme des rois », c’est une antiphrase. Joseph (Kad Merad), le patriarche de la dynastie, est un petit escroc qui risque tous les jours la prison pour quelques dizaines d’euros. Val (Sylvie Testud), la reine mère, a transformé l’appartement en crèche, à l’insu des autorités compétentes. Il suffit qu’un bambin fasse une grosse bêtise pour qu’elle aussi se retrouve derrière les barreaux. Quant au prince héritier, Micka (Kacey Mottet Klein), il seconde de mauvaise grâce son père dans ses petites entreprises, dont la confection et la vente à domicile de grands crus frelatés. Malgré son industrie, le clan est au bord de l’expulsion. Dans ces zones grises de l’économie, la procédure ne sera pas confiée aux huissiers mais à quelques gros bras du coin, qui ont déjà sérieusement amoché Joseph, en guise de première mise en demeure.

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Bref, Comme des rois pourrait être l’une de ces chroniques de la précarité comme en produit régulièrement le cinéma français, observation minutieuse et navrée de la décomposition sociale qui se conclurait par une petite apocalypse. Mais voilà, Xabi Molia a décidé de faire une comédie. On dirait que ça ne lui vient pas facilement. Lesté par les circonstances esquissées plus haut, son film plonge parfois dans la grisaille. Reste que ce n’est pas d’elle qu’on se souviendra, en repensant à Comme des rois, mais au plaisir de voir deux personnages s’épanouir, deux acteurs trouver le­ terrain de jeu sur lequel ils vont délivrer une performance hors du commun.

Monstre bien intentionné

Un désir loufoque détourne le récit dans sa course. Micka veut devenir acteur. Il y a bien longtemps, une décennie, que Kacey Mottet Klein, qui a aujourd’hui 19 ans, a choisi cette voie (à moins que ce ne soit l’inverse), en faisant ses débuts devant la caméra ­d’Ursula Meier, dans Home, en 2008, puis dans L’Enfant d’en haut, en 2012. Dans Comme des rois, il incarne à merveille la métamorphose qui fait qu’un adolescent gauche, pas très futé (son père ne se prive pas de le lui faire remarquer), se mue en un jeune premier charmant par la grâce de quelques lumières et d’un texte.

Micka participe à un atelier de théâtre et voudrait monter à Paris dans une école d’« acting ». ­Joseph, qui s’enfonce chaque jour un peu plus dans la mouise, préférerait garder auprès de lui cet ­acolyte maladroit, qu’il croit d’une loyauté à toute épreuve. Kad Merad s’était déjà essayé par le passé à la noirceur, avec des fortunes diverses. C’est probablement son travail dans la série ­Baron noir qui lui a permis d’atteindre les recoins les plus sombres de son registre. Chez Xabi Molia, il navigue avec assurance entre la rancœur mesquine face à un monde qui se refuse à lui et un amour paternel envahissant, toxique. Le comédien prend un plaisir manifeste à mener à bien les méfaits virtuoses et dérisoires de son personnage pour, l’instant d’après, se transformer en monstre bien intentionné. Logiquement, pour un acteur qui a joué dans L’Italien, d’Olivier Baroux, son travail tire le film vers les ­comédies transalpines d’antan.

On aimerait bien que Xabi ­Molia assume plus franchement la dimension comique de son histoire. C’est finalement à Kad ­Merad, plus qu’à la mise en scène, qu’incombera la tâche de faire rire, ce qui arrive à intervalles réguliers au long de la projection. L’image numérique ultra-réaliste, la caméra portée ne favorisent pas non plus la mise en œuvre de la mécanique comique, qui doit insuffler un peu d’allant à cette ambiance venue d’un autre genre. Ce n’est pas très grave : au bout du compte, Comme des rois tient en respect le désespoir, donne foi en ses personnages.

COMME DES ROIS - Bande annonce
Durée : 01:33

Film français de Xabi Molia. Avec Kad Merad, Kacey Mottet Klein, Sylvie Testud (1 h 24). Sur le web : www.hautetcourt.com/film/fiche/324/comme-des-rois, facebook.com/hautetcourt