L’avis du « Monde » - A voir

On soupçonnera les distributeurs d’Hotel Salvation d’avoir ainsi baptisé leur film (il est sorti sous ce titre dans le monde entier) pour profiter du succès­ ­cinématographique d’un autre établissement indien, le Marigold Hotel (Indian Palace, en français). La moyenne d’âge des personnages du premier long-métrage de Shubhashish Bhutiani, plutôt ­élevée, paraît parquer ­encore un peu plus Hotel Sal­vation, comme le film britannique, dans ce ­segment du marché destiné aux retraités.

Or, ce n’est pas du troisième âge que traite cette comédie philosophique, mais de notre mortelle condition. A Bénarès, il existe ­plusieurs hôtels Salvation, où séjournent ceux des pèlerins qui ont voyagé jusqu’à la ville sainte pour y mourir. Il n’y aurait pas de quoi rire si les puissances divines à l’œuvre à Bénarès appliquaient rigoureusement les règlements en vigueur dans ces établissements : les chambres sont louées pour quinze jours, le temps de mourir en paix. Faute d’exactitude dans les horaires des passages de vie à trépas, le salut passera par de petits arrangements, avec le calendrier, avec les propriétaires. Jusque dans sa dernière extrémité, la comédie humaine ne fait jamais relâche.

Ce n’est pas du troisième âge que traite cette comédie philosophique, mais de notre mortelle condition

Hotel Salvation commence loin de Bénarès, dans une famille de la petite bourgeoisie, dominée par la figure de l’aïeul, Daya (Lalit Behl), professeur à la retraite. Lorsqu’un songe le persuade que son heure est proche, Daya entreprend de convaincre Rajiv, son fils (Adil Hussain), de l’emmener jusqu’à Bénarès. Rajiv travaille dans un de ces bureaux qu’on voit souvent dans les films indiens, où les ordinateurs peinent à émerger d’une paperasse envahissante. Shubhashish Bhutiani le peint comme un homme faible, écrasé par la figure de son père, coincé dans un emploi qui l’ennuie et l’affole par ses exigences, bousculé par son épouse et sa fille rebelle.

Sur un rythme ­exquis

Il n’y a rien de très original dans cette configuration, et l’on sait bien que les réticences initiales de Rajiv face au désir de son père ­feront place à une réconciliation, voire à une épiphanie. Hotel ­Salvation sera donc sentimental, un peu moralisateur. La mort, personnage central du film, ­dispensera le reste de la distri­bution des souffrances et de la ­déchéance physique qui l’accompagnent si souvent, sans doute pour mieux faire valoir les vertus d’une agonie maîtrisée. C’est d’ailleurs pour ses vues métaphysiques qu’il est diffusé en France, par une société, Jupiter, qui ne renâcle pas devant le prosélytisme. Ce serait pourtant une erreur de réduire le film à son seul propos.

Il est mené sur un rythme ­exquis, qui assure avec délicatesse la transition entre les embarras de l’Inde contemporaine et le temps suspendu de Bénarès. Shubhashish Bhutiani peuple son hôtel de figures fugaces (il ­arrive aussi que les occupants mènent à bien le projet qui les a amenés sur les bords du Gange) et attachantes, comme cette veuve qui a obtenu de l’aubergiste une dispense et attend depuis des années de pouvoir suivre son mari. Le film est constellé de petits détails qui le préservent d’un trop grand esprit de sérieux, comme ces verres de lait aromatisé au chanvre indien que les person­nages sirotent à la sauvette, ou le soudain prestige qui vient à Daya, devenu le nécrologue officiel de l’établissement.

Et surtout, le duo père-fils ­atteint des hauteurs – comiques et sentimentales – que le scénario ne garantissait pas forcément. Face à un père écrasant, qui a laissé la déception provoquée par la médiocre carrière de son fils se muer en mépris, Adil Hussain prête ses ressources d’acteur au fils mal-aimé. Le personnage se transforme doucement, au gré des cérémonies funéraires, des fêtes rituelles sur le fleuve, sans devenir le reflet de son père (ce qu’un scénario européen ou américain aurait sans doute imposé), en trouvant une voie étroite entre la résignation et le retour à la vie.

Film indien de Shubhashish Bhutiani. Avec Adil Hussain, Lalit Behl, Geetanjali Kulkarni, (1 h 35). Sur le web : www.jupiter-films.com/film-hotel-salvation, www.facebook.com/JupiterFilms