Des chercheurs en intelligence artificielle prônent l’accès libre et gratuit pour tous aux articles scientifiques. / CLARISSE CHARBONNIER / « Le Monde »

Springer Nature, l’éditeur de la prestigieuse revue scientifique Nature, a prévu de lancer l’an prochain un nouveau titre consacré à l’intelligence artificielle (IA) baptisé « Nature Machine Intelligence ». Une annonce qui n’a pas réjoui tous les chercheurs en IA. Deux mille cinq cents spécialistes ont signé un texte assurant qu’ils boycotteraient la revue – c’est-à-dire qu’ils ne lui soumettront pas d’articles, et ne participeront pas à l’indispensable processus d’évaluation des articles par les pairs.

Parmi eux, on compte de nombreux employés des grandes entreprises du Web, des membres de célèbres institutions comme le MIT ou Harvard, et les plus grands noms du secteur comme Yann LeCun, responsable des laboratoires de recherche en IA de Facebook, le pionnier du « deep learning » Yoshua Bengio ou encore Jeff Dean, cofondateur du projet Google Brain.

La raison de leur colère ? L’accès « fermé » à cette revue, ce qui signifie qu’il faut payer pour accéder à ses articles, qui ne seront donc pas mis à disposition de tous. Or un grand nombre de chercheurs en intelligence artificielle s’engagent à ce que leurs travaux soient accessibles gratuitement et réutilisables par tous ceux qui le souhaiteraient. « Il n’y a pas de place » pour ce type de publication « dans le futur de la recherche sur l’apprentissage automatique », peut-on lire dans ce message, qui évoque même « un retour en arrière ». « En revanche, nous accueillerons à bras ouverts de nouvelles revues ou conférences sur l’intelligence artificielle et l’apprentissage machine dont l’accès serait ouvert et gratuit. »

Un débat qui dépasse l’intelligence artificielle

Ce débat dépasse largement le secteur de l’intelligence artificielle : de nombreux chercheurs s’insurgent depuis longtemps contre les éditeurs qui font payer, à un prix souvent élevé, l’accès à leurs publications. Or, comme l’a rappelé dans les colonnes de Motherboard Tom Diettriech, chercheur en IA à l’université de l’Oregon à l’origine de ce boycott, ce sont souvent les universités qui produisent ces articles, les corrigent et les évaluent… avant de devoir payer l’abonnement à ces revues. « Pourquoi nos employeurs devraient payer à nouveau pour lire l’article publié ? », demande-t-il.

Un porte-parole de Nature Machine Intelligence a expliqué à Motherboard que des titres comme le sien « impliquaient un travail éditorial substantiel », et nécessitaient donc des financements. « Nous pensons que la façon la plus juste de produire ces revues, et d’assurer leur survie à long terme comme ressource pour la communauté la plus large possible, est de partager ces coûts entre de nombreux lecteurs – et pas seulement de les faire porter à quelques auteurs seulement. »

Le débat est épineux, attisé ces dernières années par le succès de sites comme Sci-Hub, qui mettent à disposition, gratuitement et illégalement, des milliers d’articles de recherche au nom de l’accès ouvert.