Jean-Pierre Pernaut, 30 ans de JT de « 13 heures ». / TF1

Pour un actif urbain à la pause déjeuner réduite, il ne va pas de soi de regarder le « 13 heures » de TF1, et ce même en dépit des écrans multiples et des podcasts. Ils sont pourtant des millions (5,25 en moyenne en 2017, chiffre qui talonne celui du « 20 heures ») chaque jour, à l’heure du repas de midi, à suivre depuis des lustres – six, c’est-à-dire trente ans –, Jean-Pierre Pernaut, qui en prit les commandes après qu’Yves Mourousi en fut limogé.

Pendant treize ans (1975-1988), l’insolent et inventif Mourousi avait été la vedette de ce journal télévisé et le premier véritable casseur de ses codes ordinaires : en lançant son fameux « Bonjour ! » (sans le faire précéder du « Madame, Mademoiselle, Monsieur » de rigueur), en délocalisant le programme dans des lieux parfois improbables et en posant un demi-fessier sur le coin du bureau de François Mitterrand – image restée fameuse…

L’arrivée de Jean-Pierre Pernaut, le 22 février 1988 à ce poste, fut accueillie avec stupéfaction et incrédulité, dans la maison et par le « métier ». On l’avait certes vu à l’antenne depuis cinq ans, notamment au journal de la nuit, mais il n’était alors, selon les termes de son livre autobiographique, Pour tout vous dire (éd. Michel Lafon, 2006), qu’un « semi-inconnu de trente-huit ans, provincial de surcroît… » Un peu cruellement, Le Figaro l’accueillera alors par ce titre : « Pour remplacer Mourousi, Jean-Pierre qui ? »

« Le journal de Mourousi eut d’abord un fort caractère international, puis il courut à sa perte en devenant de plus en plus parisien, se souvient Pernaut. Pour ma part, j’ai voulu d’emblée le réorienter et lui donner un caractère national, c’est-à-dire axé sur les régions. »

Pour cet homme attaché à ce qu’il appelle volontiers « la vraie vie » et « les vrais gens », il n’est pas question de rougir du label « journal des régions » : « Je le revendique pleinement, dit cet homme qui aime à rappeler souvent ses origines picardes. Et d’ailleurs, à peu près tout le monde nous a suivis sur ce chemin… »

Alors qu’on arrive au rendez-vous, en cette matinée ensoleillée du mardi 17 avril – la première depuis un bon moment – on découvre un bureau dont les larges vitres ont vue sur des frondaisons. Au point qu’on se croirait à la campagne alors que le boulevard périphérique est à deux pas. « Tiens, c’est vrai… Je n’ai pas choisi l’emplacement de mon bureau mais on y a une jolie vue en effet. Pour moi, je le dis depuis toujours, Paris est une région comme une autre… »

Jean-Pierre Pernaut en 1988. / TF1

L’espace est simple, assez dépouillé et très ordonné : une table carrée, quelques sièges, un plateau annexe avec ordinateur, quelques chaises, une machine à café. De l’autre côté de la vitre, une salle de rédaction encore assez déserte quand on arrive, à 10 heures, mais comble quand on quitte les lieux, un peu plus d’une heure après.

Jean-Pierre Pernaut prend la peine de présenter chacun, ses chefs d’édition, ses réalisateurs, son assistant, les coordinatrices des sujets en région, que le « 13 heures » diffuse chaque jour. « Quand je suis arrivé, nous avons mis au point ce principe de collaboration active avec les bureaux régionaux. Ceux de France 3 à l’époque travaillaient pour leur édition régionale de 19 h 20. Ceux de France 2 et de TF1 pour le 20 heures essentiellement. C’est une des raisons pour lesquelles Mourousi avait tant d’invités à 13 heures, ce qui l’arrangeait bien car il adorait ça. »

« Aujourd’hui, nous assurons une coordination entre les dix-neuf bureaux régionaux et une autre entre les éditions du groupe. » Car les sujets peuvent être diffusés dans les différents journaux de la grille et aussi sur LCI, la chaîne d’info en continu du groupe TF1. Au point de susciter un sentiment de redite si l’on regarde les deux : « A vrai dire, rares sont ceux à regarder le 13 heures et LCI, donc ce sentiment est relatif » précise le journaliste qui, volontiers modeste, se dit « présentateur ».

« Il ne faut pas oublier que nous sommes leaders sur ce créneau pour ce qui est de la tranche d’âge de 25 à 49 ans… » Jean-Pierre Pernaut

Alors que les invités sont rarissimes sur son plateau, Jean-Pierre Pernaut a reçu, le 12 avril, un hôte de marque en la personne du président de la République. Le Monde avait sollicité le rendez-vous avant d’apprendre qu’Emmanuel Macron serait interrogé par le journaliste, mais difficile de ne pas aborder le sujet dont tout le monde parle. « J’avais reçu Nicolas Sarkozy, mais dans le cadre de l’émission “Face aux Français” ; quant à François Hollande, il avait préféré se produire dans d’autres types d’émissions… »

Il a été beaucoup dit qu’il entrait dans la stratégie de l’Elysée de faire s’adresser Emmanuel Macron à un certain public, sur TF1, le jeudi midi, et à un autre, sur BFMTV, le dimanche soir, face à Jean-Jacques Bourdin et Edwy Plenel… « Il n’est pas impossible qu’il y ait eu stratégie de la part de la présidence, mais la demande est venue de nous, assure Jean-Pierre Pernaut. Et il a été accepté que nous nous délocalisions, dans une école en région, mais sous la forme habituelle d’un journal avec des reportages. »

La cible présumée de ce « 13 heures » serait-elle les seniors et les non urbains qu’on dit délaissés par le pouvoir en place ? « S’il a voulu les toucher à travers ce journal, Emmanuel Macron est resté droit dans ses bottes au sujet des pensions et ne leur a rien concédé… » D’ailleurs, rappelle Pernaut, « il ne faut pas oublier que nous sommes leaders sur ce créneau pour ce qui est de la tranche d’âge de 25 à 49 ans… Le public de ce “13 heures” s’est beaucoup diversifié. »

Culte : La 1ère télé de Jean-Pierre Pernaut | Archive INA
Durée : 02:35

Jean-Pierre Pernaut nous dira-t-il ce qu’il a pensé de l’autre débat et de ses confrères ? « Non ! » lance-t-il avec un grand sourire qu’on aura interprété comme légèrement carnassier. Mais il ajoute cependant : « Nous n’avons pas la même manière de travailler. » Plus tard, sur un sujet connexe, il dira : « L’idée est de mettre à l’aise l’invité pour lui faire livrer autant d’informations que possible. J’ai toujours considéré que le plus important n’est pas moi, mais l’invité. Je ne suis qu’un médiateur. » On aura donc eu finalement notre réponse.

Il peut être serein, ce rendez-vous exceptionnel ayant agrégé une audience moyenne de 6,4 de téléspectateurs, avec un pic à 7 millions, c’est-à-dire près du double des résultats de BFMTV trois jours plus tard (3,82 millions de téléspectateurs en moyenne).

Jean-Pierre Pernaut aura aussi constaté comment les commentaires parfois peu aimables le concernant ont été relativisés après le débat suivant. Le côté “pépère”, voire complaisant, que certains lui reprochent (Yann Barthès et « Les Guignols de l’info » ne l’ont pas épargné…) s’est mué en une vertu finalement assez peu partagée sur les plateaux d’émissions politiques.

« Lorsqu’un entretien tourne à l’altercation, l’agressé en sort toujours gagnant et l’agresseur toujours vaincu, analyse Jean-Pierre Pernaut. Alors que je considérais qu’il était improductif d’agresser Marine Le Pen, celle-ci a d’ailleurs fait les frais de sa propre agressivité face à Emmanuel Macron lors du débat du second tour de l’élection présidentielle… »

30 ans de JT pour Jean-Pierre Pernaut : un édition spéciale pleine d'émotion
Durée : 15:26

Calmement, sans prompteur – il aime le rappeler, improvisant parfois, l’indémodable Pernaut continue de livrer l’essentiel de l’actualité nationale et internationale avant de faire voyager le téléspectateur partout en France, à la découverte des anonymes, « parfois remarquables », et du patrimoine, « son dada ». Sa façon de participer au récit national, avec en vue l’élection du plus beau marché français, concours qui passionne son public de votants.

Quant à son départ, on préfère ne pas lui demander s’il a une date en tête tant son humeur et son appétit ont l’air intacts. D’ailleurs, Jean-Pierre Pernaut semble avoir trouvé la formule de l’élixir de jouvence : « Ce sont les jours où l’on pense qu’il n’y a pas d’actu que cela devient passionnant. Car il se passe toujours plein de choses, partout, en dehors de l’actu économique et sociale. On peut toujours par exemple parler d’un fabriquant de sabots ! », plaisante-t-il (mais à moitié) à propos de ce sujet de moquerie récurrente à son propos. « D’ailleurs, la dernière fois qu’on a parlé de sabots au “13 heures”, c’était sur une chaîne concurrente… »