Des cheminots réunis à Paris, le 3 mai 2018. / Michel Euler / AP

Au premier jour de la treizième séquence de grève à la SNCF, ils étaient plusieurs centaines de cheminots réunis jeudi 3 mai dans l’après-midi devant l’Ecole militaire, à Paris. Quatre jours avant d’être reçus à Matignon par le premier ministre, Edouard Philippe, les fédérations CGT, UNSA, SUD, CFDT et FO avaient appelé à un rassemblement, dans la capitale mais aussi devant les préfectures en région, pour « mettre la pression » sur l’exécutif.

En poste à l’agence d’essai ferroviaire, Pierre a fait le déplacement à Paris. Il a été de toutes les grèves depuis le 22 mars. Contrairement à la direction de la SNCF, qui pointait une baisse de la mobilisation (29,8 % de grévistes parmi les agents à la circulation des trains jeudi, contre 32,2 % le 24 avril), lui refuse de parler d’un essoufflement du mouvement syndical. « Avec une moyenne de 30 % de grévistes, les taux sont bons », estime-t-il.

L’inscription du mouvement dans la durée a même permis de convaincre certains indécis comme Gilles, non syndiqué : cette nouvelle séquence de grève est la première à laquelle il participe depuis son entrée à la SNCF, en 2007. « Je me suis décidé au dernier moment ce matin, explique-t-il. Je me suis dit que je ne voulais pas y repenser dans dix ans et me dire que je n’y étais pas. »

Une grève qui « pénalise aussi les cheminots »

D’abord source de désaccord au sein de l’intersyndicale, la méthode de la grève cadencée (deux jours sur cinq) semble avoir fini par emporter l’adhésion des cheminots les plus sceptiques. « J’avais voté à l’assemblée générale de SUD-Rail pour une grève reconductible classique, reconnaît Pierre. Mais je dois admettre que la mobilisation la moitié de la semaine a bien fichu la pagaille au sein de la direction de la SNCF. » Une méthode également jugée efficace par Etienne, aiguilleur au sein de l’unité opérationnelle de Creil (Oise) et syndiqué à la CGT : « Avec deux jours de salaires, on bloque la circulation presque trois jours et demi. »

Cette grève atypique permet « à tout le monde de participer à la mobilisation », quels que soient ses moyens financiers, estime aussi Dominique, écharpe CFDT autour du cou. S’il affirme que ses idées passent avant les pressions financières, il reconnaît qu’il n’est pas le plus mal loti : « On connaît des agents SNCF dont les terminus des lignes se situent à l’étranger et à qui l’on interdit de faire grève, sans quoi les frais d’hôtel et les repas sont à leur charge », s’indigne-t-il.

« Le premier ministre a déclaré à la télévision que la grève longue des cheminots pénalisait les clients. Mais il a oublié de dire que cela pénalisait aussi les cheminots », témoigne David, syndiqué à SUD-Rail. Pour le prouver, ce contractuel sort son téléphone de sa poche et lit à voix haute un message de son opérateur lui notifiant que sa facture n’a pas été payée ce mois-ci. « Les impayés commencent à s’accumuler », sourit-il amèrement. Ce jeune commercial en poste à Massy-Palaiseau (Essonne) dit gagner chaque mois 1 500 euros brut. A cause du décompte des jours de grève, il a touché presque la moitié en avril.

« D’habitude, les retenues sur salaires sont décomptées sur la fiche de paie du mois suivant, explique aussi Dominique, dénonçant des pressions financières de la part de la direction. Cette fois-ci, on m’a déjà décompté les quatre jours de grève que j’ai effectués en avril sur mon bulletin du même mois. »

« Depuis le 22 mars rien n’a bougé »

Pour Christophe Jaworski, chef d’équipe technique à la gare de l’Est, à Paris, le plus dur n’est pourtant pas le sacrifice financier. Ce qu’il supporte mal, c’est avant tout le « dénigrement » de son métier dans l’opinion publique.

« J’en ai marre d’avoir l’impression d’être un paria parce que je bénéficie d’une carte de réduction qui me permet de prendre le train gratuitement. Quand vous travaillez chez Renault, vous avez bien des réductions sur l’achat de votre voiture, non ? »

David aussi assure qu’au-delà des pertes financières, la mobilisation pèse aussi sur sa vie personnelle. « Faire la grève est presque plus fatiguant que de travailler, assure-t-il sérieusement. Tous nos jours de repos y passent, et on n’est jamais de retour à la maison avant minuit. On n’a plus de vie. »

Malgré les difficultés, la perspective de prolonger la mobilisation pendant l’été, que l’intersyndicale a évoquée à plusieurs reprises depuis la rupture des discussions avec la ministre des transports, Elisabeth Borne, ne décourage pas ces cheminots. « Depuis le 22 mars rien n’a bougé », constate Dominique. « S’il faut durcir le mouvement, alors on durcira le mouvement », poursuit Pierre avec détermination. « J’avais mis un peu d’argent de côté, opine Christophe. Et puis si je n’ai pas les moyens, je ne partirai pas en vacances. » « Au moins, je pourrai me regarder dans la glace en me disant que j’aurai tout fait pour empêcher la réforme », se console Etienne.

Cécile Frangne