Le défenseur de Marseille Rolando fête le but de la qualification face au Red Bull Salzbourg, le 3 mai. / Kerstin Joensson / AP

La scène date du 7 juillet 1998. Le lendemain, l’équipe de France rencontre la Croatie en demi-finale de sa Coupe du monde. Lilian Thuram raconte : « On réfléchissait au geste à accomplir si l’on mettait un but, et Marcel [Desailly] m’a dit : “De toute façon, t’es pas concerné. Tu ne marques jamais ou alors contre-ton-camp.” Il avait raison, même à l’entraînement, les buts je n’en marquais pas. » Mais le charme du football est aussi de produire des héros improbables. Le défenseur inscrit un doublé et tombe à genoux, incrédule après son second but, immortalisé dans une gestuelle à la James Bond pas du tout préméditée.

Jeudi 4 mai à Salzbourg, Rolando a eu une joie moins théâtrale mais aussi peu réfléchie que celle de Thuram vingt ans plus tôt ; une joie débraillée avec le maillot qui vole, une joie communicative dans les bras de ses coéquipiers devant le parcage des supporteurs marseillais, une joie surtout inattendue. « C’est quelque chose d’inoubliable, je n’ai pas les mots en français pour dire ce qu’il y a dans mon cœur », se pinçait le Portugais qui, pourtant, s’exprimait déjà dans un français raffiné lors de son arrivée à l’OM en 2015.

Sur la liste des partants

Comment devient-on le héros improbable de la 116e minute de cette demi-finale retour de la Ligue Europa face au Red Bull Salzbourg (2-1) ? Rolando Jorge Pires da Fonseca doit encore se le demander ce vendredi matin en voyant son nom suivi de « Ballon d’or » en une de L’Equipe. Au début de la prolongation, le défenseur portait encore le survêtement du remplaçant et n’était même pas parti à l’échauffement.

Et puis Rudi Garcia a décidé de replacer Luiz Gustavo en milieu de terrain (101e) et Rolando – gêné par une inflammation à un tendon d’Achille depuis trois semaines – a retrouvé sa place en défense centrale. Et puis il y a eu ce corner imaginaire, l’offrande de Payet, le marquage aléatoire d’un défenseur autrichien, une reprise délicate du pied droit et l’absence bienvenue d’un joueur de Salzbourg au second poteau.

Voilà comment on devient le sauveur d’un club qui a déjà mis votre nom sur la liste des partants pour le prochain mercato. Entre Rolando et l’OM, l’histoire n’a jamais été simple. Si le personnage fait plutôt l’unanimité – il figure dans le restreint « comité des sages » mis en place par Rudi Garcia –, le défenseur est souvent jugé trop lent. Au placard sous Franck Passi, il est titularisé en octobre 2016 face au PSG par Rudi Garcia pour son premier match à la tête de l’OM. Ce soir-là au Parc des Princes, Marseille bétonne et l’ancien indésirable est élu homme du match.

Espoir déçu

Le Portugais a appris à vivre avec la passion marseillaise et l’exigence qui va avec. « Je n’ai jamais perdu confiance, je ne la perds jamais. Les critiques font partie du métier », disait-il en mars 2017. L’arrivée d’Aymen Abdennour en début de saison devait le condamner au banc ; il n’y a jamais eu match tant le Tunisien est l’ombre du défenseur qu’il a été à Monaco.

Rolando, lui, n’a jamais retrouvé ses jambes de 23 ans. Celles de ses débuts avec le FC Porto en provenance de Belenenses, quand il est un défenseur prometteur, courtisé par les grands d’Europe, un vainqueur de l’Europa League en 2011. La suite est moins heureuse à Naples puis à l’Inter Milan. Déclassé après cet intermède italien de deux saisons, le natif du Cap-Vert perd sa place en sélection portugaise, rebondit pour une pige à Anderlecht avant son arrivée en catimini à Marseille fin août 2015.

Voilà comme on recrute son futur héros. Pour le Ballon d’or, l’intéressé s’en sortait par une pirouette, jeudi soir : « Moi Ballon d’or ? Ils ont inversé les deux lettres ! » Peut-être, mais Cristiano Ronaldo n’a jamais remporté la Ligue Europa. Rolando pourrait, lui, très bien en inscrire une deuxième à son palmarès le 16 mai à Lyon contre l’Atlético Madrid. D’ici là, il aura le temps de soigner son talon et de profiter de son quart d’heure de gloire.