Téléfilm sur Arte à 20 h 55

La maison isolée sur le bord du lac saisie en plongée panoramique, dès les premières minutes du film, ne laisse aucun doute sur la nature de ce qui va advenir : de cet endroit paisible, aux contours obscurs, va surgir l’effroi. Reste à attendre que l’histoire nous mène à ce point de basculement, au drame qu’annoncent la mise en scène, le décor et ses ombres.

L’histoire, justement, quelle est-elle ? Celle d’Elisabeth (Astrid Whettnall), infirmière à domicile, et de sa fille, Elodie (Pauline Burlet), 18 ans, qu’elle a élevée seule dans cet endroit de la campagne belge, loin de la ville et de ses tumultes. La relation entre les deux femmes ne laisse deviner aucun conflit. Il n’y en a d’ailleurs pas. Le jour où Elodie dit à sa mère qu’elle va passer le week-end chez une amie pour réviser, Elisabeth ne s’y oppose pas, se livre à quelques recommandations d’usage, par habitude, elle a confiance.

Elodie, pourtant, ne reviendra pas. Elisabeth apprend d’abord, par l’une de ses amies, que sa fille s’est rendue à Chypre, en compagnie d’un garçon. Puis, par la police, qu’elle s’est convertie à l’islam sous le nom d’Oum Sana, a pris un billet d’avion à destination d’une ville frontière turque… probablement pour rejoindre la Syrie.

« Solitude absolue »

C’est l’image, vue à la télévision, d’une mère qui avait essayé de passer en Syrie pour retrouver sa fille qui a donné à Rachid Bouchareb l’envie de faire ce film. Et qui, du même coup, en a déterminé le périmètre. La Route d’Istanbul ne déborde jamais du cadre de l’intime, de la quête de son personnage central, vaillant et déterminé, en proie aussi aux doutes, aux interrogations, à la culpabilité.

Petite soldate qui part en guerre tête baissée, sans crainte des militaires qui lui barrent la route à Rakka, en Syrie, ni reproches envers sa fille qu’elle ne reconnaît plus, cette femme ordinaire – et mère universelle – se charge progressivement d’une dimension héroïque. Filmée en plan large dans les paysages arides de la frontière turco-syrienne, sa fine silhouette qui avance sur les sentiers, tremblante comme un mirage, dit mieux que tout autre artifice son peu de poids dans le désastre qui l’entoure.

Pauline Burlet dans le rôle d’Elodie. / © Roger Arpajou

Ecrit – avant les attentats du 13 novembre 2015 – par Yasmina Khadra, Olivier Lorelle, Zoé Galeron et Rachid Bouchareb, le scénario, dégagé du superflu et de toute rhétorique explicative, tient le fil tendu.

Un fil sur lequel l’actrice belge Astrid Whettnall a su se tenir en équilibre, telle une funambule, l’esprit guidant le corps, et les sentiments l’action. L’émotion, dans La Route d’Istanbul, ne naît pas tant des mots que de la force physique dont fait preuve le personnage d’Elisabeth dans ce périple où, par la volonté du réalisateur, nous n’avons pas d’autre choix que de la suivre.

« Ce film parle seulement du chemin accompli par une femme prête à tout pour sauver sa fille et rétablir le contact avec elle, confie Rachid Bouchareb au magazine d’Arte. Il décrit aussi sa solitude absolue. » En nous rendant témoins, sans échappatoire, de cette solitude, le cinéaste finit par nous en faire les compagnons admiratifs et émus.

La Route d’Istanbul, de Rachid Bouchareb. Avec Astrid Whettnall, Pauline Burlet, Patricia Ide, Abel Jafri (Fr.-Bel.-Alg., 2016, 90 min).