Un manifestant lors d’une marche à Paris contre le projet loi asile-immigration, le 17 mars. / CHARLES PLATIAU / REUTERS

Lors d’un appel à témoignages, nous avons demandé à des lecteurs du Monde de nous livrer leurs sentiments un an après l’arrivée au pouvoir d’Emmanuel Macron. Parmi les électeurs qui se sont dits déçus par le nouveau président, malgré les espoirs qu’ils avaient placés en lui, nombreux sont ceux ayant cité le projet de loi asile-immigration, comme principale raison de leur mécontentement.

Adopté le 22 avril en première lecture, ce projet de loi très critiqué, et ce, même par certains députés macronistes, entend principalement réduire les délais de traitement des demandes d’asile et mettre en œuvre les reconduites à la frontière pour ceux qui en sont déboutés. En pratique, la future loi prévoit de réduire les délais pour les demandes d’asile à quatre-vingt-dix jours, contre cent vingt actuellement. Pour les étrangers en situation irrégulière, la période maximale de rétention administrative sera étendue de quarante-cinq à quatre-vingt-dix jours dans les cas où la personne fait obstacle à son expulsion.

« Je prends ce projet de loi comme une trahison par rapport à ses déclarations précampagne. » Bernard S., enseignant-chercheur de 51 ans, a toujours voté à gauche. En 2017, même s’il se sent plus proche du candidat socialiste Benoît Hamon, il vote pour Emmanuel Macron. Aux deux tours. « Je ne voulais pas que François Fillon soit au second tour, et puis j’appréciais le discours assez progressiste d’Emmanuel Macron. » Ce Perpignanais s’attendait à une politique migratoire plutôt « ouverte et humaniste », « du niveau de celle menée par Angela Merkel en Allemagne ». Il n’y voit que « des mesures qui facilitent les expulsions et rendent les recours plus difficiles ».

« J’espérais un Macron plus proche de la position allemande. Plus accueillant. Plus courageux. Je suis très déçue. »

Comme Bernard S., de nombreux témoignages reçus citent l’exemple allemand en matière d’immigration et de solidarité depuis 2015. En votant pour le candidat En Marche ! à la présidentielle, Thomas H., 30 ans, espérait que la France suive enfin « la politique courageuse de Mme Merkel et accueille dignement les quelques milliers de migrants qui souhaitent s’installer en France, fuyant la guerre ou la misère ». Un an plus tard, et même s’il se dit « séduit par l’image enfin dépoussiérée que le président donne de la France à l’étranger », ce cadre de la fonction publique assure être « scandalisé par sa politique migratoire, inhumaine et hypocrite ». « Cette flétrissure marquera durablement son quinquennat », poursuit-il.

D’origine allemande, Verena, 43 ans, a été naturalisée française en 2016. Pour sa première présidentielle dans l’Hexagone en tant que citoyenne, elle a voté sans trop d’hésitation pour Emmanuel Macron. « Son positionnement proeuropéen » l’a convaincue et elle maintient ne pas avoir été déçue depuis. En revanche, elle se dit « effarée » par la loi asile et immigration, « en totale opposition avec les promesses de campagne ». « J’espérais un Macron plus proche de la position allemande. Plus accueillant. Plus courageux. Je suis très déçue. »

Un « aspect humain », c’est ce qui manque à cette future loi, déplore Alain B., 63 ans. Il estime qu’« elle fait honte à la France ». Si c’était à refaire, il voterait quand même à nouveau pour Emmanuel Macron. Il ne regrette pas, se disant « simplement moins enthousiaste ». Pour Mathieu G., habitant d’Ille-et-Vilaine, c’est l’ombre au tableau de l’« excellent bilan » du gouvernement. « Sa politique migratoire tangue parfois dangereusement vers l’extrême droite », s’inquiète-t-il. « On a l’impression qu’il a voulu faire un cadeau à la droite pour casser la stratégie de Laurent Wauquiez [président des Républicains] », ajoute Cécile P., chimiste de 42 ans, précisant par ailleurs avoir apprécié la suppression de la taxe d’habitation ainsi que la réforme de l’université.

« Social-démocrate, très sensible au redressement de la dette et à la place de la France dans la mondialisation », Lionel P., avait rejoint En Marche ! avant la présidentielle. En février, il s’est senti obligé de quitter le navire. « Quand j’ai vu ce texte voulu par Gérard Collomb, j’y ai vu la mise en œuvre du programme d’Alain Juppé », confie ce retraité. « Renforcer la détention des mineurs, maintenir le délit de solidarité… cette loi, c’est la limite morale au-delà de laquelle on ne peut plus dire qu’on est de gauche. »