Pourquoi Trump veut-il en finir avec l’accord sur le nucléaire iranien ?
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« Peu de pays ont subi un aussi grand nombre de sanctions que l’Iran », écrivait Thierry Coville, chercheur à l’IRIS (Institut de relations internationales et stratégiques) et spécialiste de l’Iran, dans La Revue internationale et stratégique du premier trimestre 2015. Quelques mois plus tard, le 14 juillet 2015, la levée partielle de ces sanctions était actée par l’accord de Vienne négocié avec l’Iran par les cinq membres du Conseil de sécurité de l’ONU et l’Allemagne, en échange du gel et de la mise sous contrôle international du programme nucléaire iranien pour au moins dix ans.

Les mesures coercitives et les sanctions, notamment américaines, héritées des décennies précédentes et visant le programme balistique de Téhéran, le soutien au terrorisme de la République islamique et les atteintes aux droits humains, sont toutefois restées en vigueur.

  • Un arsenal de sanctions déployé à partir de 2005

Si la plupart des sanctions majeures contre l’Iran ont été promulguées pour tenter de bloquer son programme nucléaire à partir de 2005, au vu d’un faisceau de preuves attestant d’une dimension militaire, les Etats-Unis avaient commencé à sanctionner Téhéran dès 1979. Cette année-là, une prise d’otages à l’ambassade américaine dans la capitale iranienne conduit le président Jimmy Carter à geler les avoirs iraniens aux Etats-Unis. De 1995 à 2006, les gouvernements américains successifs multiplient les restrictions, tâchant notamment d’interdire, sans succès, le commerce du pétrole avec l’Iran, qu’ils considèrent comme un Etat soutenant le terrorisme.

L’élection de Mahmoud Ahmadinejad, en 2005, marquée par la reprise d’activités d’enrichissement d’uranium, signe l’accélération des sanctions américaines contre le pays. Sous le mandat de Georges W. Bush, puis sous celui de Barack Obama, les Etats-Unis promulguent plusieurs séries de sanctions financières. Elles constituent le principal instrument de la politique américaine envers l’Iran. Le National Defense Authorization Act, adopté en 2012, a notamment interdit aux banques étrangères d’être en relation avec la banque centrale d’Iran pour financer les achats de pétrole iranien.

Les Nations unies vont dans le même sens, et le Conseil de sécurité vote cinq résolutions de 2006 à 2010. Celles-ci interdisent notamment l’importation par l’Iran d’équipements pouvant être utilisés pour ses programmes nucléaires et balistiques.

En plus de ces résolutions, l’Union européenne durcit sa position sous la pression des Etats-Unis. Un tournant est franchi en 2012 : le Conseil de l’UE promulgue un embargo sur les produits pétroliers et pétrochimiques iraniens. Il est aussi décidé d’exclure l’Iran du système de messagerie internationale SWIFT, basé à Bruxelles. « On a assisté à un important durcissement des sanctions. La politique de l’Union européenne s’est alignée sur les intérêts américains », explique Thierry Coville.

  • Que signifie la levée partielle des sanctions promise lors de l’accord du 14 juillet 2015 ?

L’accord de Vienne de juillet 2015 a profondément modifié le cadre des sanctions, et ce depuis le 16 janvier 2016. A cette date, l’accord a officiellement été appliqué : l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) a annoncé que l’Iran avait coopéré de façon satisfaisante avec le gendarme du nucléaire — elle n’a cessé depuis de le rappeler, dans des rapports réguliers — et que les sanctions pouvaient être levées. Celles-ci seront remises en place si l’Iran n’apporte pas de réponse satisfaisante à l’AIEA, après signalement d’un éventuel manquement à ses obligations, dans le cadre d’une procédure dite de « snap-back » (« cliquet ») prévue par l’accord sous pression de la diplomatie française.

Pour donner suite à cette déclaration purement politique et sans force coercitive, la résolution 2231 de l’ONU a été adoptée. Elle donne une certaine solennité à l’accord en requérant la levée de toutes les sanctions prévues par les résolutions onusiennes précédentes.

La majorité des mesures coercitives est pourtant encore maintenue par les Etats-Unis. Les sanctions dites primaires, qui concernent directement les Américains, sont toujours en vigueur. Pour qu’une entreprise ou un particulier américain puisse commercer avec l’Iran, des autorisations de l’Office of Foreign Assets Control (OFAC), agence dépendant du Trésor américain et redoutée pour sa rigueur, sont encore nécessaires. « L’OFAC fait la pluie et le beau temps. Beaucoup d’entreprises européennes, qui font une partie de leur chiffre d’affaires aux Etats-Unis, doivent aussi demander l’autorisation à l’OFAC pour commercer avec l’Iran », dit Thierry Coville.

Pourtant, les sanctions secondaires, qui interdisaient aux entreprises non américaines de faire affaire avec l’Iran, ont été supprimées. Mais les grandes banques européennes, dont certaines se sont vu infliger des amendes records par les Etats-Unis à l’époque des sanctions, n’ont pas accompagné les investisseurs qui retournaient en Iran. L’économie iranienne demeurant assez opaque, elles craignent que leurs clients ne tombent sur une entité inscrite sur les listes noires américaines. Elles appréhendent également de s’engager dans un projet de long terme qui pourrait être menacé par un retour des sanctions, ou tomber sous le coup de nouvelles mesures de coercition américaines.

L’Union européenne, à la suite de l’accord de Vienne, a aussi levé la majorité des sanctions, tel l’embargo sur le pétrole. L’Iran a été réintégré au programme de messagerie SWIFT. « Mais si les sanctions à propos du nucléaire ont effectivement été levées, ce n’est pas le cas de celles sur le programme balistique ou les droits de l’homme. Toutefois, l’ampleur des sanctions européennes est incomparable avec celles que l’Iran subit de la part des Etats-Unis », ajoute le chercheur à l’IRIS.

  • Les sanctions risquent-elles de se renforcer ?

Dans l’éventualité où Donald Trump déciderait de rester dans l’accord, les sanctions demeureraient inchangées. Entérinées par la résolution de l’ONU, elles sont inamovibles, à moins de renégocier l’accord — ce à quoi s’opposent tous ses signataires, sauf les Etats-Unis — ou en cas de snap-back. Si les Etats-Unis se retiraient, toutefois, « la logique voudrait que Donald Trump rétablisse toutes les sanctions levées et suspendues en 2016 », selon Thierry Coville.

Paris, Londres et Berlin s’inquiètent de cette menace. Pour que les Etats-Unis ne quittent pas l’accord, les trois pays ont déposé un document proposant un renforcement des sanctions notamment sur le programme balistique iranien, a dévoilé l’agence de presse Reuters le 16 mars. Cette décision supposait une unanimité des Vingt-Huit, que la France, le Royaume-Uni et l’Allemagne n’ont pas réussi à obtenir. Certains pays européens, telle l’Italie, ont rejeté l’hypothèse de mesures coercitives, afin de conserver leurs relations commerciales avec l’Iran.