A la Bourse de Téhéran, le 8 mai. / ATTA KENARE / AFP

« Nous sommes préparés. Si l’Amérique se retire de l’accord, notre économie ne sera pas impactée. » En prononçant ces mots à la télévision d’Etat, mardi 8 mai, qui espérait convaincre le gouverneur de la banque centrale iranienne, Valiollah Seif ? Quelques heures plus tard, les annonces du président américain Donald Trump signifiant le retrait des Etats-Unis de l’accord sur le nucléaire iranien et le rétablissement des sanctions vis-à-vis de Téhéran sonnaient comme le scénario du pire pour une économie iranienne déjà très fragilisée.

En témoignent les mouvements erratiques du rial, en chute libre sous le coup des incertitudes créées par M. Trump. La devise iranienne, malmenée mardi, a perdu 50 % de sa valeur depuis fin 2017. Pour enrayer le mouvement, les autorités ont instauré, en avril, un contrôle des changes avec un taux fixe de 42 000 rials pour 1 dollar.

Mais sur le marché noir, la glissade s’est poursuivie. Des estimations évaluent les sorties de capitaux entre 10 et 30 milliards de dollars (entre 8,4 et 25,2 milliards d’euros) au cours des quatre derniers mois, symptôme des craintes d’un effondrement de l’économie. 

L’Iran ne s’est jamais remis des années de crise. Les Iraniens ont les poches vides, l’appareil productif rouille

« Si les pressions à la baisse s’accentuent, ce qui est prévisible, les autorités vont-elles pouvoir tenir ? », s’interroge un analyste installé à Téhéran. La dépréciation de la monnaie risque d’alimenter l’inflation, déjà proche de 10 %, et l’exaspération d’une population qui estime avoir peu bénéficié de la levée des sanctions internationales depuis 2016.

Près de 30 % des jeunes sont au chômage

Il y a un malentendu autour de l’accord nucléaire : malgré deux ans de relative embellie économique, l’Iran ne s’est jamais remis des années de crise. Les Iraniens ont les poches vides, l’appareil productif rouille. Les ventes de pétrole libérées par l’accord ont bien apporté des devises, mais elles n’ont pas entraîné la création d’emplois en nombre suffisant pour absorber le million de jeunes rejoignant chaque année le marché du travail. Presque 30 % de la jeunesse demeure au chômage, selon le Fonds monétaire international.

« Les grands ajustements ne se matérialisent pas du jour au lendemain. L’économie aurait eu besoin de temps pour s’adapter au nouvel environnement et renouveler son tissu productif  », décrit Seltem Iyigun, économiste chez l’assureur-crédit Coface. Les entreprises étrangères sont revenues, mais timidement. Attirées par le potentiel peu exploité d’un pays de 80 millions d’habitants, mais à moitié rassurées après des années d’isolement de Téhéran.

Une frilosité renforcée par le quasi-gel des flux financiers avec la république islamique : les grandes banques internationales ont choisi de se tenir à l’écart pour ne pas s’exposer à des risques juridiques aux Etats-Unis, alors que certaines sanctions américaines restaient en place.

Désormais, le retour du « plus haut niveau de sanctions économiques » annoncé par M. Trump risque de mettre un coup d’arrêt aux investissements et au commerce avec l’Europe. Bruxelles clame son intention de « préserver » l’accord nucléaire. Encore faudra-t-il convaincre les entreprises de jouer le jeu, surtout celles ayant des intérêts aux Etats-Unis.

Le secteur bancaire semble au bord de l’implosion

D’ores et déjà, le nouvel ambassadeur américain à Berlin, Richard Grenell, a sommé les entreprises allemandes de cesser leurs activités en Iran. La volte-face américaine devrait aussi peser durement sur le secteur pétrolier, qui avait été le principal gagnant de l’accord – ses exportations ont plus que doublé dans l’intervalle – et le moteur de la reprise.

Ces défis s’ajoutent à ceux qui perdurent sur le front intérieur. Le secteur bancaire, sous-capitalisé et lesté de créances douteuses, semble au bord de l’implosion. En cinq ans de pouvoir, le président Hassan Rohani a tenté d’assainir l’économie, tout en peinant à poursuivre sa politique de rigueur affichée, face à la résistance de corps d’Etat gourmands et à l’impopularité de ses coupes dans les aides publiques aux plus pauvres. Sa stratégie de croissance nationale misant sur le privé paraît peu prometteuse, au vu de la faiblesse du secteur, qui représente environ 20 % de l’économie iranienne.

En accentuant le risque d’une dégradation, le retour des sanctions américaines fait craindre, au sein de l’Etat, la multiplication des mouvements de contestation qui ont gagné des dizaines de villes de province au tournant de l’année, et dont la répression a fait plus de 25 morts. Moins visibles et toujours disparates, des grèves se poursuivent : des professeurs à Yazd (centre), des métallos à Ahvaz (sud) et des employés du rail à Tabriz (nord-ouest)…

Comment se préparer au pire ? Dans une note récente, l’économiste Djavad Salehi-Isfahani estimait que les efforts d’ouverture économique du modéré Rohani pourraient être « brutalement interrompus » pour laisser place à une « économie de la résistance », tournée sur elle-même et étroitement pilotée par les autorités. Les mesures prises ces dernières semaines – contrôle des changes, rationnement des devises étrangères, limitation de certaines importations – pointent toutes dans cette direction.