Jean-Marie Michel Mokoko devant ses supporteurs, le 18 mars 2016 à Brazzaville. / MARCO LONGARI / AFP

Son écriture est élégante et précise. C’est celle d’un homme qui croupit depuis près de deux ans dans une cellule de la prison de Brazzaville, isolé pour avoir osé défier dans les urnes un chef d’Etat autoritaire, au pouvoir depuis une trentaine d’années. C’était lors de l’élection présidentielle du 20 mars 2016 remportée par le président sortant, Denis Sassou-Nguesso lors d’un scrutin contesté par la communauté internationale.

Le général Jean-Marie Michel Mokoko et ses soutiens avaient été empêchés de faire campagne, harcelés par les forces de sécurité. Les télécommunications avaient même été interrompues dans le pays. « Je me suis heurté à la machine totalitaire, écrit aujourd’hui Jean-Marie Michel Mokoko, dans une lettre datée du 8 mai que Le Monde a pu obtenir. Cette machine, via ses émissaires congolais et ses complices étrangers [a] essayé en vain de me faire plier en exigeant de moi la reconnaissance des résultats que le monde entier savait avoir été grossièrement truqués. Face à mon refus, la dictature a ensuite entrepris de m’intimider, d’arrêter et de torturer mes compagnons, de dépenser des fortunes avec des consultants et des complices étrangers pour me diaboliser. »

Conditions de détention

Général saint-cyrien et ancien chef d’état-major des armées du Congo (de 1987 à 1993), Jean-Marie Michel Mokoko, 71 ans, avait suscité l’espoir d’une partie de la population de ce pays pétrolier d’Afrique centrale dont les richesses, captées par le clan au pouvoir, font l’objet d’enquêtes en France, en Suisse et aux Etats-Unis. Il est arrivé en troisième position, avec moins de 14 % des voix selon les résultats officiels. Puis, après avoir été maintenu à résidence, il a été jeté en prison, astreint à « rester dans une pièce dont il ne peut pas sortir », selon ses avocats. Cette version contredit celle de Gérard Devillers, l’un des avocats français de l’Etat congolais, qui avait assuré sur le plateau de la chaîne TV5 Monde que M. Mokoko bénéficiait de conditions de détention privilégiées. Sa famille n’a pas pu lui rendre visite, menacée par les nervis du régime.

M. Mokoko a été inculpé le 16 juin 2016 d’« atteinte à la sûreté intérieure de l’Etat et détention illégale d’armes et munitions de guerre ». Ces derniers mois, les avocats congolais ont été surpris de ne pas être convoqués aux audiences préalables au procès, qui s’est ouvert le 7 mai dans la capitale en l’absence des représentants de la presse internationale, empêchés d’y assister. Ils ont finalement été admis dans l’après-midi.

Hasard du calendrier, le fils cadet du chef de l’Etat, Denis Christel Sassou-Nguesso, 43 ans, publiait justement un opuscule sur son site Internet. Ce député, élu avec près de 100 % des voix dans le fief familial, et qui a la haute main sur le secteur pétrolier, semble envisager de succéder à son père lorsque ce dernier quittera le pouvoir. Il le cite d’ailleurs pour énumérer les « antivaleurs » qui mineraient ce pays criblé de dettes, dont plus de la moitié de la population vit sous le seuil de pauvreté malgré ses ressources en or noir et en bois. « Il s’agit de la corruption, du détournement, de la cupidité, de la concussion, de la fraude, de la paresse, du vol ou même de l’incivisme », écrit sans gêne Denis Christel Sassou-Nguesso, lui-même mis en cause dans plusieurs procédures judiciaires pour corruption et concernant des « biens mal acquis », aux Etats-Unis et en France.

Silence de l’expert

Pendant ce temps, à Brazzaville, les militants de la société civile, les journalistes et les intellectuels opposants du régime sont traqués par les forces de sécurité, arrêtés et emprisonnés. Et Jean-Marie Michel Mokoko est jugé. Il s’est présenté droit et digne, le visage fermé. Il a d’abord invoqué son immunité puis a souhaité exercer son droit au silence malgré les invectives de la cour, dont le président s’est estimé « outragé ». « Nous en tirerons toutes les conséquences juridiques mais les débats doivent se poursuivre », a déclaré Me Devillers.

Présent dans la salle, un expert en armement convoqué par la cour a refusé de témoigner sur les armes retrouvées dans la résidence de l’accusé, qui a toujours expliqué qu’elles appartenaient à sa garde. « J’ai reçu ordre de ma hiérarchie de ne pas intervenir à ce stade », a-t-il précisé à Radio France internationale (RFI). « C’est un procès grotesque où les droits de la défense sont complètement bafoués, souligne Etienne Arnaud, l’un des trois avocats français de M. Mokoko. C’est totalement exubérant et grossièrement politique, avec des décisions délirantes, tordant le cou au droit congolais. »

Quant à l’accusation selon laquelle le général aurait souhaité mener un « coup d’Etat », le principal témoin qui devait la soutenir ne s’est pas présenté. Le régime congolais avait pourtant mandaté des spécialistes français de l’investigation privée pour tenter d’étoffer le dossier, comme Bernard Squarcini, l’ancien directeur de la direction centrale du renseignement intérieur. En vain.

« Après plus de quarante ans d’une carrière militaire sans tache au service du peuple congolais, et au terme de deux ans de prison, il ne me reste que mon honneur, […] je n’ai pas l’intention d’en faire offrande à ce régime, visiblement d’un autre âge », écrit M. Mokoko dans sa missive de deux pages manuscrites. Il cite le visionnaire socialiste français Jean Jaurès et appelle ses compatriotes à avoir le courage « de rechercher la vérité et de la dire ». Et de conclure : « Il nous faut par conséquent continuer d’espérer car rien n’est perdu, contrairement aux apparences ».