Près d’une année après la fermeture de son musée parisien, la Fondation Dapper, référence de l’art africain ancien, se donne un nouveau souffle à Dakar. Le 3 mai, Dak’Art, nom de la biennale de la capitale sénégalaise, ouvrait ses portes dans l’ancien palais de justice. En marge de la manifestation officielle, le Off et ses 251 événements ont pris d’assaut les rues et les galeries de la ville. C’est sur l’île de Gorée que Christiane Falgayrettes-Leveau, présidente de la fondation, a décidé d’exposer les œuvres contemporaines d’une dizaine d’artistes du continent. Face au port où les navires quittaient cette antichambre de la traite négrière comme sur ses places pavées d’histoire, des œuvres détonantes appellent les amateurs d’art ainsi que les collectionneurs à découvrir l’art africain à travers ses œuvres contemporaines. Entretien.

Pour quelles raisons avez-vous fermé le musée Dapper au profit d’expositions ponctuelles ?

Christiane Falgayrettes-Leveau D’abord pour des raisons économiques. La fondation étant complètement privée, nous finançons toutes nos activités. C’est évident que l’espace de 200 m² que nous possédions dans le XVIe était difficile à entretenir. Puis, après trente ans, j’avais envie de renouveler l’approche, le regard, car le monde bouge et l’on ne peut plus appréhender ni les œuvres d’art ancien ni celles d’art contemporain de la même façon. Nous devions trouver une nouvelle dynamique.

Pourquoi vous être tournée vers l’art africain contemporain ?

Au bout de 30 ans – et plus de 2 000 pièces dans nos collections –, nous avions fait le tour des objets d’art ancien. Nous avions analysé, déterminé leurs pratiques et j’avais besoin de m’exprimer ailleurs, envie d’apprendre. Or, à Paris, nous n’avions pas l’opportunité d’exposer de l’art contemporain car l’espace était limité.

Quelle différence y a-t-il entre exposer de l’art ancien ou contemporain ?

J’ai un regard plus sémiologique. Ce qui m’intéresse, c’est ce que l’œuvre peut nous aider à dire. Comme la littérature, le théâtre, la musique, anciennes ou contemporaines, les œuvres d’art nous permettent de transmettre un discours. Dapper ce n’est pas que l’art ancien, il ne faut pas rester figé.

Comment avez-vous sélectionné les artistes pour cette exposition ?

Par rapport à la thématique de la biennale qui est « l’heure rouge » annoncée par Césaire. Ne pas faire de l’art pour l’art, mais défendre un engagement. C’est ce qui caractérise de plus en plus de plasticiens contemporains. Ils ne sont pas hors du monde. Je pense que ces nouvelles générations sont très impliquées et proposent des discours plus intéressants qu’un art purement conceptuel.

Il y a notamment une fresque en graffiti qui détonne dans l’atmosphère feutrée de Gorée…

J’ai engagé des graffeurs, BeauGraff et Guiso, car je voulais toucher les jeunes Sénégalais. Il faut utiliser un regard qui leur est propre. Je leur ai demandé de trouver un thème qui les concerne, pas qu’ils remettent la tête de Césaire ou de Mandela. Ces grandes figures sont indispensables, mais il faut aussi chercher un souffle nouveau. Ils m’ont demandé ma participation à l’élaboration de leur œuvre mais je n’ai pas voulu. Je leur ai dit d’écrire leurs textes. Je voulais que ce soit leurs mots à eux.

"Le champ de coton", œuvre de l'artiste sénégalais Soly Cissé dans le cadre de l'exposition Off de la Fondation Dapper à Gorée, au Sénégal, le 5 mai 2018. / Matteo Maillard

Il y a aussi ce champ de coton planté devant l’église de Gorée…

C’est une œuvre de Soly Cissé. Il est intéressant que ce soit un Africain et non un Caribéen qui s’implique dans cette question de la représentation symbolique de l’esclavage. La question touche moins les Africains. Il subsiste cette ambiguïté entre les Caribéens qui disent « vous nous avez vendus ! » et les Africains qui les accusent d’être larmoyants et complexés.

Derrière cette exposition, y avait-il l’envie de rapporter l’art africain en Afrique ?

Je suis une intellectuelle et même s’il y a de l’affect, soyons réalistes : on ne peut pas tout rapporter. Mais, ici, il y a une forte demande, une soif de culture. Je vois des groupes de jeunes plus intéressés et concernés par l’art que les classes françaises qui venaient au musée Dapper.

L’art contemporain trouve-t-il un nouvel essor sur le continent ?

Je ne le connais pas assez, mais quand on regarde les biennales au Nigeria, en Afrique du sud, il y a d’excellents artistes. C’est économique. Quand il y a de l’argent, des collectionneurs qui peuvent faire fonctionner un marché de l’art interne, on crée plus facilement. Sans argent, on crée beaucoup moins.

Cet art attire-t-il tous les publics ?

Quel que soit le pays, l’art contemporain n’attire pas la majorité. Ça reste élitiste, plus que la musique malheureusement. Si je ne suis pas pour la vulgarisation, il faut casser ces barrières.

Comment faire ?

En donnant accès, en ouvrant l’art contemporain à la rue.

Vous allez poursuivre cette optique de nomadisme artistique ou chercher un nouveau lieu fixe d’exposition ?

Le nomadisme me convient. Nous avons récemment réalisé une exposition à la Fondation Clément en Martinique. C’est un lieu chargé d’histoire, se trouvant sur une plantation. Nous avons apporté de l’art ancien africain là où étaient détenus les esclaves. Nous prévoyons une démarche similaire au Brésil. Je veux travailler dans des lieux qui ont du sens mais pas me fixer. L’idée de faire des expos dans des espaces ouverts, mêlant art ancien et contemporain, est passionnante.