Lisbonne, mardi 8 mai, environ 1 heure du matin. Benjamin Ingrosso, le représentant suédois à l’Eurovision, fait son entrée sur la petite scène de l’« Euroclub » pour interpréter deux chansons devant une centaine de fans. Patrick, 51 ans, danse et savoure chaque seconde du spectacle. « La mère du chanteur a tenté de participer sept fois à l’Eurovision », prend-il toutefois le temps de nous glisser. « Son père était d’ailleurs le choriste de sa mère, c’est comme ça qu’ils se sont rencontrés… » Pointu !

Plusieurs heures auparavant, Margaux, 26 ans, a réalisé un rêve : rencontrer Alexander Rybak. Dans le microcosme eurovisionnesque, le chanteur norvégien au peps communicatif, qui se sépare rarement de son violon, est une star. Après avoir remporté le concours en 2009, il retente sa chance cette année. La jeune femme, journaliste juridique, l’a suivi alors qu’il visitait une école de musique de la capitale portugaise, où se tient l’édition 2018 de l’Eurovision. Installée devant son ordinateur dans le centre de presse, elle s’apprête à raconter cette rencontre sur Concours-eurovision.fr, un site d’informations auquel elle collabore en tant que blogueuse.

Au centre de presse, Margaux et Alexis préparent les articles et vidéos qu’ils publient chaque jour sur Concours-eurovision.fr / Aurélie Blondel

Quelques tables plus loin, au centre de presse, Farouk, la quarantaine, enregistre ses photos du jour, celle de la répétition de la première demi-finale. C’est le rédacteur en chef du Cocoricovision, magazine d’Eurofans, le fan club français de l’Eurovision. Il publie environ trois numéros par an, très soignés, d’une quarantaine de pages. Tirés à 300 exemplaires, ils sont téléchargeables en ligne.

Farouk, Margaux et Patrick sont tous trois des membres actifs d’Eurofans, dont 215 membres sont présents à Lisbonne. Officiellement créée en 1995, l’association existait déjà depuis la fin des années 1980. Ces derniers temps, son nombre d’adhérents a explosé. « Nous sommes passés d’un peu plus de 200 en 2014 à presque 500 aujourd’hui », détaille Stéphane Chiffre, président de la structure. Les fans les plus mordus font le déplacement chaque année une à deux semaines dans la ville organisatrice pour vivre de l’intérieur leur concours préféré. Ils ont répondu présent même les années noires, quand la France avait pris la fâcheuse habitude d’enchaîner de piètres résultats… Il faut dire que sur place, l’ambiance est, quoiqu’il arrive, au rendez-vous.

Farouk, rédacteur en chef de « Cocoricovision », le magazine des fans de l’Eurovision. / Aurélie Blondel

Pour Margaux, miss Ile-de-France 2014, tout a commencé en 2011 à Düsseldorf, en Allemagne. Depuis, elle vient tous les ans ou presque. « Quand on y a goûté, je vous assure qu’il est difficile d’en sortir », soupire-t-elle, « d’autant qu’on se fait des copains au fil des années ».

Si pour beaucoup, l’Eurovision n’est qu’une émission de télévision, elle constitue, pour les fans qui suivent de près l’événement, deux semaines totalement folles durant lesquelles s’enchaînent des dizaines de répétitions et de conférences de presse, des mini-concerts, un grand défilé des artistes sur un tapis rouge – exceptionnellement bleu cette année – et des soirées où l’on se déhanche jusqu’au petit matin sur les tubes de l’Eurovision, à l’« Euroclub » ou encore à l’« Eurocafé », deux lieux dédiés chaque année à la fête.

« Je suis là pour m’éclater, pendant ces semaines c’est comme si j’étais sur une autre planète », lance Patrick, tout en dansant sur Loin d’ici, le titre que l’Autrichienne Zoe interprétait en français à Vienne en 2016. Il connait tout le monde. Salue de la main l’un des compositeurs de la chanson maltaise et reconnait derrière lui deux choristes danois au look viking. Car en plus de son amour pour l’Eurovision, il a développé une singulière passion pour les choristes du concours, qui, dans l’ombre des chanteurs, ont à ses yeux un rôle clé dans le spectacle. Là encore, il est incollable sur le sujet ! Lui aussi d’ailleurs partage son engouement pour le concours sur Internet, sur le blog de la radio en ligne EFR12, dédiée à l’Eurovision, à ses chanteurs et aux sélections nationales.

Fin mars, les membres du fan club français, accueillaient Madame Monsieur (au centre). / Farouk Vallette-Concours-eurovision.fr.

Farouk est également un habitué des « Euroclub ». Mais il s’y rend davantage pour travailler que pour danser. Pendant plusieurs années, il a d’ailleurs été un des DJ de l’Eurovision et mixait pour les fans dans les soirées. Lui est plutôt du genre studieux. « Les journées d’Eurovision sont intenses, elles commencent tôt et se terminent tard », précise-t-il, épuisé mais heureux de vivre le concours au plus près pour la neuvième année. Il prend sur place un nombre incalculable de photos des artistes, qu’il publiera dans le magazine ou qu’il laisse utiliser par des sites amis. « En connaissant les artistes, on les met davantage en valeur sur les photos, on capte mieux les émotions », dit-il. La rédaction du magazine attendra toutefois l’été, le prochain numéro étant prévu en septembre. Sauf si les représentants français Madame Monsieur l’emportait samedi : un numéro spécial du Cocoricovision célébrerait cette victoire que les fans attendent, sans faillir, depuis 1977.