La joie de l’équipe féminine de l’Elan chalossais après sa victoire en finale de la Coupe des Landes, dans les arènes de Gamarde. / Louvier Isabelle / SUD OUEST / MAXPPP

Les joues peintes de bleu et de grenat, une famille rejoint la cohorte de fans qui attendent l’ouverture des portes des arènes de Pomarez. « Est-ce qu’il y a les taureaux ? » interroge une petite fille, inquiète, tenant à bout de bras la main de son père. Non. Si bandas et odeurs de grillades sont au rendez-vous dans ce haut lieu de la course landaise, en cette fin du mois de mars, les spectateurs viennent voir un autre affrontement : les demi-finales de la Coupe des Landes de basket.

« Ici, le basket est une religion. » Capitaine du club de Dax-Gamarde (National 2), Jérôme Mansanné évolue dans le territoire depuis dix-sept ans. Avec plus de 12 000 licenciés, les Landes sont aujourd’hui le département où l’on joue le plus au basket – rapporté à la population. A son apogée, quelque cent trente villages possédaient leur club.

« Le basket demande peu de monde et peu de place », explique Claudine Latrubesse. « Bible du basket landais », cette ancienne prof, élue pendant quarante ans au comité des Landes basket, a consacré sa vie à la balle orange. Dans des petits villages, un sport collectif ne requérant que cinq joueurs avait tout pour se développer. Pourtant, le basket n’a pas envahi la France des champs, faisant de la région de la Chalosse, au sud du département, un phénomène unique.

Du foie gras au basket

« La Chalosse est la seule région de France au développement rural positif grâce au foie gras », souligne Jean Caplanne, qui a présidé pendant trente ans le club de Pomarez. Etant l’une des principales zones de production de foie gras, la Chalosse n’a pas vécu d’exode rural après la seconde guerre mondiale. « Puisqu’il y avait du travail, les jeunes sont restés à la ferme. Et parce qu’ils étaient disponibles le week-end, le basket s’est développé. »

Si le basket est une religion en Chalosse, la Coupe des Landes est sa messe. Une coupe unique, rassemblant tous les clubs du département depuis 1947. Elle constitue « la récompense et la convergence de tout le peuple du basket » vers les arènes, où se disputent les finales (féminine et masculine), estime Jean-François « Paco » Laulhé, l’entraîneur landais d’Orthez, en National 1 féminine.

Ouverte à tous les clubs sans distinction de niveau, dans un territoire où chaque village a son club, cette coupe départementale est le réceptacle des « guerres de clochers ». « On la surnomme la Coupe “du monde” des Landes, glisse l’ancien joueur Olivier Léglise, ancienne gloire du basket landais. Car dans nos villages, tout tourne autour du basket. » Pas question de perdre face au voisin, quand tout le village s’est déplacé avec tambours et trompettes pour vous encourager.

Chaque année, on se rend comme en pèlerinage aux arènes (couvertes) sur le sable desquelles a été posé un parquet de basket. Ces lieux dédiés à la course landaise deviennent un chaudron incandescent le temps de la finale. A compter de 2019, celle-ci se déroulera dans les arènes – à ciel ouvert – de Dax, permettant d’accueillir jusqu’à huit mille personnes (contre trois mille six cents places rapidement écoulées cette année). Un pari osé, compte tenu du niveau de la compétition, mais que le président du comité des Landes, Pierre Dufau assume, certain de « la passion des supporteurs landais ».

Sorte de Graal du basketteur landais

« J’ai débarqué dans la coupe des Landes un soir de quarts de finale, se souvient le manageur général de l’équipe de France, Patrick Beesley. C’était ma première sortie dans les Landes, et je m’étais dit “je suis tombé chez les fous”. » Originaire de la région bordelaise, il a été nommé conseiller technique départemental dans ce département, en 1979.

Reconnaissant une part d’irrationnel entre l’amour des Landais pour ce qu’ils « considèrent comme la plus belle des coupes » et le niveau de jeu, l’ancien DTN du basket français s’est lui aussi pris au jeu. « Une année, j’ai dit ne pas pouvoir aller à la finale de l’Euroleague “parce qu’il y a la coupe du monde de basket”. »

D’autant que la spécificité de la coupe, un système de handicap (sept points par niveau d’écart), permet à toutes les équipes d’espérer faire un beau parcours dans la compétition. « J’ai déjà commencé un match à – 49 », relate Jérôme Mansanné, qui évolue dans le meilleur club du département. A la tête d’une cohorte d’anciens espoirs de l’Elan béarnais – le grand club de la région, bien que béarnais –, Paco Laulhé a « reconstitué un club disparu », pour repartir du plus bas niveau départemental et profiter de ce système de handicap. En 1991, ses joueurs d’Arsague ont signé un « parcours magnifique en coupe », n’échouant qu’en quarts de finale.

Pour tout joueur landais, la « Coupe » est « une sorte de Graal », reconnaît l’entraîneur de Levallois (Pro A) Frédéric Fauthoux. Né à Horsarrieu, l’ancien capitaine de Pau-Orthez est « tombé dans le basket dès le berceau », ayant ses deux parents bénévoles dans le club local. Et si sa carrière l’a amené jusqu’à l’équipe de France, il s’est « toujours promis de revenir jouer à Horsarrieu, retrouver [ses] amis, rendre ce que le club [lui] avait donné. Avec l’objectif de remporter la Coupe des Landes ». Devoir accompli, en 2010, quand il a enfin soulevé le trophée départemental avec son village, où « la fête a duré deux ou trois jours ».

Comme Fauthoux, qui a donné son nom à la version jeunes de la Coupe des Landes, de nombreux basketteurs landais devenus professionnels ont voulu, au crépuscule de leur carrière, remporter le « Graal ». La finale de l’édition 2018 a ainsi vu s’affronter Gauthier Darrigand et Nicolas Gayon, aux solides carrières en Pro A et Pro B.

Des Jeux olympiques à la Coupe des Landes

Même les non-Landais se prennent au jeu, dont certains après avoir évolué dans des championnats autrement relevés. Le pivot espagnol et ancien pro Roberto Morentin a longtemps bourlingué en seconde division espagnole, avant de terminer sa carrière dans les Landes. « En Espagne, on disputait les coupes régionales en présaison, en guise de préparation, retrace le géant ibérique (2,04 mètres), admettant sa « surprise » à son arrivée dans les Landes. Ici, la coupe est très importante, et souvent, elle intéresse plus les clubs que le championnat. »

Lui qui a disputé la March Madness avec une université de Floride constate « un peu la même ambiance » entre la folie qui s’empare des Etats-Unis lors du tournoi universitaire final et celle des Landes, à la différence près que « là-bas, on joue dans des salles NBA, pas dans des arènes ».

L’engouement autour du basket landais, c’est ce qui a poussé Jean Luent, ancien entraîneur de l’équipe de France aux Jeux olympiques de Los Angeles (1984), à prendre les rênes du club de Monségur, village de quatre cents habitants. Car à Monségur évoluait Olivier Léglise, l’incarnation du basketteur des champs. Icône dans le mundillo (petit monde) landais, ce grand ailier au shoot soyeux a résisté à deux reprises aux sirènes du professionnalisme, préférant rester dans son village et reprendre la ferme de ses parents.

Avec l’ancien coach de l’Elan béarnais, Léglise, qui s’entraînait depuis son enfance sur un panier forgé et scellé au mur de la ferme par le curé du village, a remporté plusieurs Coupes des Landes. Et si nombre d’observateurs, comme Paco Laulhé restent « frustrés de ne pas l’avoir vu aller jusqu’au bout et devenir professionnel », à 51 ans, l’ancien joueur affirme « ne jamais avoir regretté (ses) choix ». L’appel de la terre était trop fort pour celui qu’on surnomme là-bas « l’Américain » et dont l’exploitation produit « des céréales et de la volaille, label “en liberté” ».

Le club, nerf de la vie du village

« Les clubs, chez nous, c’est le nerf de la vie du village », martèle Frédéric Fauthoux. Et d’énumérer les « réunions, loto, repas de chasse, soirée carnaval… » organisés au fil de l’an pour faire vivre le club : « Cette histoire se transmet de génération en génération, et l’on perpétue la fierté de représenter son club. » « Si vous ôtez le basket du village, je tournerais en rond comme un lion en cage », renchérit Olivier Léglise, qui reste investi dans son club de toujours.

« Je n’ai jamais été champion du monde, mais quand tu gagnes la Coupe des Landes, au moins pendant quelque temps, tu as l’impression de l’être, savoure Jérôme Mansanné. Et tout le monde le sait dans le département, tu es reconnu pour ça. » Vainqueur du trophée pour la troisième année de suite, mercredi 9 mai, avec Dax-Gamarde (victoire 75-52 face à l’Elan souemontain montgaillardais sarraziétois), son huitième titre personnel, le joueur dacquois est à nouveau sur le toit du monde. Du petit monde du basket landais.