Sélection officielle – Un certain regard, film d’ouverture

Sergei Loznitsa était déjà présent à Cannes en 2017, avec Une femme douce, présenté en compétition, plongée cauchemardesque au cœur du système carcéral post-soviétique. Cette année, le cinéaste revient chez lui, en Ukraine. Mais est-ce encore chez lui ? A l’est de l’ex-république soviétique, indépendante depuis 1991, le Donbass est passé sous le contrôle de séparatistes contrôlés par Moscou. Pour décrire cette sécession, cette guerre à la fois civile et internationale, Loznitsa laisse libre cours à sa colère, à la répugnance que lui inspirent les forces qui œuvrent à la partition, au risque de déconcerter le spectateur non averti par la violence univoque de son expression.

C’est en tant que documentariste que le cinéaste a chroniqué la révolution ukrainienne. Il aurait été trop risqué pour lui de tourner dans les régions tenues par les partisans de l’union avec Moscou. En Crimée, autre région ukrainienne passée sous contrôle russe, son collègue Oleg Sentsov a été condamné à vingt ans de bagne, qu’il purge en Sibérie. C’est donc à la fiction que Sergei Loznitsa a eu recours pour raconter les deux premières années du conflit, 2014 et 2015. Il le fait en une douzaine de segments retraçant chacun une situation « inspirée d’événements réels », selon les termes de l’auteur, raccordés à la marabout-de-ficelle, un des personnages mis en scène dans l’une des séquences se retrouvant dans la suivante, en partant du camp ukrainien pour finir au fin fond du système mis en place dans la région séparatiste.

Corruption endémique

Loznitsa, qui de toute évidence, n’a pas grande foi dans la nature humaine, commence par évoquer la corruption endémique en Ukraine : une femme mise en cause par une chaîne de télévision verse un seau d’excréments sur le directeur ; devant le personnel d’un hôpital, un notable local fait passer le détournement de médicaments et de nourritures pour un haut fait de la lutte contre la prévarication. Mais une fois passée la ligne de front, ces péchés apparaîtront véniels. Changeant de mise en scène à chaque séquence, du pastiche de reportage télévisé (visite des caves d’une cité où des familles vivent dans la terreur des bombardements) au pur film de guerre (destruction d’un bus civil par des roquettes séparatistes) en passant par la comédie grotesque (un mariage entre « patriotes »), le cinéaste semble n’avoir d’autre fil conducteur que son inébranlable pessimisme, qui confine à la misanthropie.

Sergei Loznitsa à l’hôtel Marriott à Cannes, le 9 mai 2018. / STEPHAN VANFLETEREN POUR « LE MONDE »

La colère de l’Ukrainien le conduit à exagérer certaines situations. Un homme d’affaires se fait confisquer sa voiture par une milice, fait l’objet d’une demande de rançon et se retrouve détenu dans un hall où une multitude de ses semblables appellent désespérément au secours sur leurs téléphones cellulaires ; un prisonnier ukrainien est battu presque à mort par une foule de civils. Il en invente aussi – la conclusion glaçante de Donbass procède d’une logique, celle du mariage du crime organisé et de l’Etat-parti, poussée à son extrême, sans reposer sur des faits avérés. Pour des spectateurs éloignés du théâtre des opérations, incapables de distinguer l’ukrainien du russe, c’est draper l’indignation dans les plis de la fiction, au risque de desservir la cause que défend Loznitsa.

DONBASS by Sergei Loznitsa | Clip | GeoMovies
Durée : 02:16

Film ukrainien de Sergei Loznitsa (2 h 01). Sortie en salle le 5 septembre. Sur le Web : distrib.pyramidefilms.com/pyramide-distribution-catalogue/donbass.html