Le président français Emmanuel Macron lors d’un événement autour du prix Charlemagne, le 9 mai à Aachen. / LUDOVIC MARIN / AFP

Jeudi 10 mai, au lendemain d’une très symbolique « journée de l’Europe », Emmanuel Macron doit recevoir dans la ville allemande d’Aix-la-Chapelle, ancienne capitale de l’empire carolingien, le prix Charlemagne, la plus prestigieuse et la plus ancienne des distinctions européennes. Après Jean Monnet, Churchill, Konrad Adenauer, François Mitterrand, Simone Veil ou Angela Merkel, Emmanuel Macron sera distingué pour « l’élan donné à l’Europe à la suite de la campagne électorale il y a un an en France », sa volonté de « ré-ancrer l’Europe et l’idée européenne au cœur des sociétés des populations avec notamment le lancement des consultations citoyennes ». Et aussi pour son initiative « Make our planet great again », destinée à préserver l’accord de Paris.

Mais depuis la splendide salle du couronnement où il recevra sa distinction et prononcera son discours – le quatrième sur l’Europe en moins d’un an –, le chef de l’Etat devrait en profiter pour faire passer un message d’urgence aux autres dirigeants européens, et spécialement à la chancelière Merkel, qui sera présente pour prononcer son laudatio : après que les Etats-Unis se sont brutalement retirés de l’accord sur le nucléaire iranien, au mépris des avertissements et des intérêts européens, l’Union doit plus que jamais prendre son destin en main.

Ordre multilatéral bousculé

L’Europe est désormais « en charge de garantir l’ordre multilatéral » mondial fragilisé, a déclaré mercredi 9 mai le président français Emmanuel Macron, depuis Aix-la-Chapelle, à la télévision publique allemande. « Nous sommes à un moment historique pour l’Europe [qui] est en charge de garantir cet ordre multilatéral que nous avons créé à la fin de la Deuxième Guerre mondiale et qui est parfois aujourd’hui bousculé », a estimé le chef de l’Etat.

Il a profité de cette interview pour exhorter la chancelière Merkel à accepter ses propositions de réformes de l’Union : « L’Allemagne va avoir à formuler d’ici au mois de juin sa réponse, c’est celle-ci que j’attends et j’espère beaucoup de la chancelière et de son gouvernement pour être à la hauteur de ce moment historique. »

Cela fait maintenant sept mois qu’Emmanuel Macron a formulé une longue liste de propositions, notamment pour la zone euro, comptant à l’époque que Berlin saisirait sa main tendue. Mais malgré qu’il soit très apprécié outre-Rhin pour les réformes qu’il mène au pas de charge, il a jusqu’à présent buté sur la prudence de la chancelière et sur celle de son nouveau ministre des finances, le social-démocrate Olaf Scholz, qui s’inscrit plus dans la continuité que dans la rupture avec l’héritage du très orthodoxe Wolfgang Schaüble.

D’autres priorités

Le fait que le président français est très isolé sur la scène européenne ne l’a jusqu’à présent pas aidé à plaider sa cause à Berlin : les pays de l’Est ont d’autres priorités, l’Italie est toujours en recherche de gouvernement, l’Espagne se tient en retrait en raison de la crise catalane…

Plus question de parler d’un « super » ministre des finances ni d’envisager un budget conséquent pour la zone euro. Même l’idée d’une taxe sur le revenu des géants du Web fait tiquer outre-Rhin. Idem concernant la réponse à apporter à Donald Trump, qui menace depuis des mois de taxer les exportations d’acier et d’aluminium : Paris et Berlin ne sont pas alignés, les Allemands s’étant montrés plus ouverts à une éventuelle relance d’une négociation de type Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement (TTIP), avec Washington.

« Dépasser nos propres égoïsmes »

« Ceux qui sont aujourd’hui aux responsabilités ne doivent avoir qu’une ambition : que la jeunesse européenne ait encore plus d’ambition qu’eux », a encore souligné M. Macron face aux Aixois venus l’accueillir à son arrivée mercredi soir, avec ballons et drapeaux aux couleurs de l’Europe. Face à ce parterre acquis de familles et de retraités, le président français a ajouté, saluant au passage les vingt-sept lauréats d’un « prix Charlemagne de la jeunesse » : « Nous avons besoin de plus d’investissements européens, qui n’iront pas forcément qu’à la France et à l’Allemagne (…) Je crois dans une réponse commune entre l’Allemagne et la France. Nous devons savoir dépasser nos propres peurs, nos propres égoïsmes et même nos propres colères. »

Les Allemands seront-ils capables de lui remettre davantage qu’une décoration et une pâle « feuille de route » commune en juin ? « On vise un accord de substance, pas un accord d’affichage », glissait-on à l’Elysée il y a quelques jours. Juste avant la décision américaine sur le nucléaire iranien, qui rend ce sursaut franco-allemand encore plus pressant.