Un homme lit le quotidien anglophone « Phnom Penh Post » dans un café de Phnom Penh, le 8 mai 2018. / SAMRANG PRING / REUTERS

La vente du quotidien anglophone Phnom Penh Post représente la dernière pelletée de terre sur la presse indépendante au Royaume du Cambodge, où le premier ministre Hun Sen, au pouvoir depuis plus de trois décennies, a verrouillé la vie politique à l’approche des législatives de juillet.

Le titre était jusqu’ici détenu par un magnat australien des mines, Bill Clough, mais ce dernier s’est vu soudain présenter une facture d’arriérés fiscaux de 3,9 millions de dollars (3,3 millions d’euros) par le gouvernement cambodgien, le contraignant de fait à vendre le journal. Une notification controversée des impôts avait déjà forcé l’autre journal anglophone, le Cambodia Daily, à mettre la clé sous la porte en septembre 2017. A la même période, l’un des chefs de l’opposition, Kem Sokha, avait été arrêté sur une accusation de « complot » avec l’étranger et plusieurs radios avaient été suspendues des ondes. Hun Sen, réélu de justesse en 2013 après que ses critiques eurent dénoncé d’importantes fraudes, entend manifestement ne rien laisser au hasard.

Dans ce contexte, le profil de l’acquéreur du Phnom Penh Post n’est pas anodin. Sivakumar S. Ganapathy, un homme d’affaires malaisien, dirige une agence de relations publiques, Asia PR, dont le site Internet cite parmi ses clients et missions passés, outre IBM ou KFC, « le Cambodge et l’installation de Hun Sen au gouvernement ».

Le rédacteur en chef licencié

La rédaction n’a pas tardé à faire l’expérience des limites de sa tolérance. Une injonction du nouveau propriétaire est arrivée dès la publication en ligne d’un article, dimanche 6 mai au soir, sur la vente, qui mentionnait les liens opaques de l’acquéreur malaisien avec des politiciens de son pays d’origine. Le rédacteur en chef, Kay Kimsong, a été licencié pour avoir refusé de retirer l’article et ses adjoints et l’essentiel des journalistes étrangers du quotidien ont depuis démissionné. « Après la fermeture du Cambodia Daily, toute la rédaction du Post s’est demandé si elle était la prochaine cible ou si conserver un journal indépendant permettait de sauver les apparences », explique Erin Handley, une des treize journalistes démissionnaires.

Dans un communiqué, M. Ganapathy s’est notamment offusqué qu’ait été omise l’initiale « S » entre son prénom et son nom mais aussi que l’article ne mentionne pas le fait qu’Asia PR n’a travaillé pour le gouvernement cambodgien qu’avant sa propre arrivée dans le groupe. Il écrit dans le journal que le vendeur l’avait assuré que les journalistes de la maison étaient « de gros calibre ». « Maintenant j’ai des doutes », dit celui qui avait promis de respecter l’indépendance de la rédaction. Pour Mme Handley, si des journalistes cambodgiens sont restés, c’est qu’ils constatent que, s’ils abandonnaient maintenant, il ne resterait plus aucun média indépendant dans le pays.