Dans une compétition qui s’est ouverte sur le récit de trois jours de joie et de souffrances en 2 heures et 12 minutes (Everybody Knows, d’Asghar Farhadi) et qui s’achèvera sur les 3 heures 8 minutes du Poirier sauvage, de Nuri Bilge Ceylan, la durée de Cold War (titre original polonais Zimna Wojna) est plus qu’une anomalie, un manifeste. D’autant qu’il ne s’agit pas d’un film en chambre. Il s’agit de faire tenir en moins d’une heure et demie dix ans de conflit, de 1949 à 1959, entre blocs et de guerre amoureuse, de peindre l’asservissement du désir à l’histoire.

Le pari est audacieux, il vise à la concision, à l’acuité. Mais il risque aussi la sécheresse, piège que Pawel Pawlikowski n’évite pas toujours. Le réalisateur retrouve ce noir et blanc qui ne fut pas étranger au succès mondial d’Ida (2014). Il ne s’agit plus de célébrer la spiritualité des personnages, mais, comme chez son collègue russe Serebrennikov, de revenir au gris universel de l’ère soviétique.

Mise en scène politique et historique

Dans les coins les plus reculés de la campagne polonaise, Pawlikowski fait d’abord circuler un étrange trio composé d’un musicien, Viktor (Tomasz Kot), d’une musicologue, Irena (Agata Kulesza) et d’un bureaucrate du parti, Kaczmarek (Borys Szyc). Ils ont pour tâche de collecter le patrimoine musical polonais dans les fermes et les villages, tout comme le faisaient, à peu près à la même époque, Alan Lomax dans le Mississippi ou Ewan MacColl au Royaume-Uni. Les Polonais voudraient œuvrer dans le même sens que leurs collègues anglo-saxons : préserver la culture populaire, méprisée par les élites. Mais, en Pologne, ils sont en passe d’entrer dans les rangs de l’élite.

La première partie de Cold War, qui met en scène l’appropriation d’un art populaire par un régime, est un modèle de mise en scène politique et historique. Le trio est chargé de constituer un ensemble national de chanteurs et de danseurs destiné à propager dans le pays et dans le monde, à commencer par le bloc communiste, la glorieuse culture polonaise. Dans un château en ruine, des jeunes passent des auditions, et, déjà, l’habileté et la séduction prennent le pas sur l’authenticité et la rudesse. La première à en bénéficier est une belle jeune fille blonde, Zula (Joanna Kulig), qui n’a pas besoin de faire de grands efforts pour séduire Viktor.

Retenue extrême

Cold War devient aussi l’histoire de leur amour violent et impossible, pas tant à cause de la différence d’âge que de l’incompatibilité entre les aspirations velléitaires de Viktor, qui se rêve en artiste, et les désirs plus terrestres de Zula, ­préoccupée de se préserver des dangers (les hommes, les mauvaises langues, les autres, quoi) dont elle a fait l’expérience avant de rejoindre la troupe.

Le récit procède par ellipses qui laissent le couple à Berlin pour le cueillir à Paris, avant de les faire se croiser, se rater à Zagreb, à Paris de nouveau, puis en Pologne. Viktor est passé à l’Ouest, Zula n’a pas voulu le suivre, avant de se raviser. Paris se révèle un terreau moins fertile pour le musicien que ne l’était la Pologne stalinienne. On voit passer Jeanne ­Balibar en poétesse, Cédric Kahn en cinéaste séducteur. Les personnages centraux qui étaient si nettement dessinés deviennent flous, on a à peine le temps de comprendre ce qui les façonne, ce qui les change. Manque surtout le temps de l’empathie. Pawel Pawlikowski s’est inspiré de l’histoire de ses ­parents, on mettra cette retenue ­extrême sur le compte de la pudeur.

Cold War (Zimna Wojna) new clip official from Cannes
Durée : 01:53

Film polonais et britannique de Pawel Pawlikowski. Avec Joanna Kulig, Tomasz Kot, Agata Kulesza (1 h 24). Sortie en salle le 31 octobre. Sur le Web : diaphana.fr/film/cold-war