Des militants de Génération identitaire au col de l’Echelle, le 21 avril 2018. / ROMAIN LAFABREGUE / AFP

C’est un rappel de la loi qui a relancé la polémique. Le 4 mai, le ministère de la justice a publié une circulaire, dont le contenu a été révélé par Mediapart mercredi et consulté par Le Monde vendredi 11 mai, pour rappeler à tous les procureurs de France l’existence de deux infractions « visant les comportements hostiles à la circulation des migrants ».

Une semaine plus tôt, le procureur de Gap avait classé sans suite une enquête ouverte après que des militants du mouvement Defend Europe, lié au groupe d’extrême droite Génération identitaire (GI), avaient bloqué fin avril un col des Hautes-Alpes à l’aide de grillage en plastique pour empêcher des migrants d’entrer en France. Le parquet avait alors estimé qu’il n’existait « aucune infraction pénale susceptible d’être reprochée à l’encontre de quiconque », provoquant la colère des associations d’aide aux migrants.

Il en existe pourtant, selon le ministère, qui se défend toutefois d’avoir voulu intervenir dans cette affaire. « Suite à plusieurs incidents en lien avec des passages à la frontière de migrants, plusieurs procureurs avaient interrogé la Chancellerie par l’intermédiaire des procureurs généraux, explique Rémy Heitz, auteur de la circulaire et directeur des affaires criminelles et des grâces au ministère. Ces textes sont rarement appliqués, notre objectif était de rappeler l’état du droit afin que l’Etat puisse apporter une réponse coordonnée. »

« L’Etat ne peut pas le tolérer »

La circulaire – qui rappelle également les délits dont sont passibles les personnes qui viennent en aide aux migrants et les immunités dont elles peuvent bénéficier – fait référence à deux infractions du chapitre « De l’usurpation de fonctions » du code pénal qui permettraient de poursuivre les militants identitaires.

La première, « l’immixtion dans une fonction publique », est passible de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende (article 433-12 du code pénal). « Le contrôle du respect des frontières, par la surveillance visuelle ou l’édification d’obstacles, par des personnes hostiles à la circulation des migrants (notamment des militants se revendiquant de la mouvance identitaire) » sont susceptibles de caractériser ce délit, tout comme « la reconduite à la frontière des migrants par ces mêmes personnes, y compris sans violence ».

Le 27 avril, des militants identitaires expliquaient au Monde : « On en a rencontré, on les a amenés à la frontière calmement, gentiment, et la police ensuite les a interpellés. » Ces derniers affirment être dans leur droit au motif que l’article 73 du code pénal autorise un individu à « appréhender l’auteur d’une infraction flagrante punie d’une peine d’emprisonnement », ce qui est le cas de l’entrée irrégulière sur le territoire. Mais le ministère met à mal cet argument en précisant que l’action doit pour cela être « isolée ».

« Dès qu’une opération de contrôle ou de surveillance est organisée, on est dans de l’immixtion de fonction publique, et ça, l’Etat ne peut pas le tolérer », assure M. Heitz au Monde.

La circulaire mentionne également que les militants de Génération identitaire pourraient être poursuivis au titre de « l’exercice d’une activité ou l’usage de document créant la confusion avec une fonction publique », puni d’un an de prison et de 15 000 euros d’amende (article 433-13 du code pénal). C’est notamment le cas lorsque l’on « fait croire, par son comportement ou par un ensemble de manœuvres, que l’on possède la qualité pour exercer la surveillance et le contrôle des frontières ».

Défense du procureur

Face à la polémique, le procureur de Gap a réagi vendredi 11 mai dans un communiqué, décidant de « lever le secret des enquêtes » pour se défendre d’être « inactif » dans ce dossier. Il a précisé que l’enquête classée le 27 avril n’avait pour but que de « vérifier si ces individus [les militants de Génération identitaire] avaient commis des violences ou proféré des menaces ou tenu propos racistes » dans la seule nuit du 26 au 27 avril 2018 au col de Montgenèvre, ce qui a été rapidement écarté par l’enquête.

Il a également insisté sur une note datant du 29 avril, dans laquelle le parquet demandait aux forces de l’ordre « de relever toute infraction flagrante susceptible d’être reprochée aux membres de ce groupe “identaire” » et « d’ouvrir des enquêtes du chef d’usurpation de fonctions sur le fondement de l’article 433-13 (1°) du code pénal ». Mais, à ce jour, « aucune infraction n’a été relevée du chef d’activité créant une confusion avec une activité publique », selon le communiqué, qui précise que les migrants interrogés n’ont pas pris les militants identitaires pour des membres de forces de l’ordre.

En revanche, le parquet a déclaré avoir demandé l’ouverture d’une « enquête préliminaire plus globale du chef d’immixtion dans une fonction publique (article 433-12 du code pénal) », dont les investigations sont en cours. Il décidera ensuite, en s’appuyant, entre autres, sur la circulaire du ministère, si « le délit d’usurpation dans une fonction publique est suffisamment caractérisé pour en poursuivre les auteurs identifiés ».

Possibilité de porter plainte

Des éléments qui ne rassurent qu’à moitié les associations. « Nous avions connaissance de ces textes et nous travaillons depuis des semaines à la collecte de témoignages, en lien avec d’autres associations et des avocats, explique Agnès Antoine, du pôle juridique du collectif Tous Migrants. Nous nous préparons à un nouveau classement sans suite. Nous étudions la possibilité de porter plainte et de nous constituer partie civile, mais nous voulons pour cela des éléments les plus solides possible. »

En attendant, Génération identitaire, dont aucun militant n’a été interpellé, assure poursuivre des « opérations de surveillance » dans les Alpes, ce que confirment les associations d’aide aux migrants. Ces dernières dénoncent le « deux poids, deux mesures » du procureur, qui a par ailleurs engagé le 23 avril des poursuites contre des militants venus en aide aux migrants. Ils seront jugés le 31 mai pour « aide à l’entrée d’étrangers en situation irrégulière et en bande organisée ».