Devant la mosquée Imam-Hussein de Verulam, dans la province sud-africaine du Kwazulu-Natal, après l’attaque menée par trois hommes non identifiés, jeudi 10 mai 2018. / ROGAN WARD / REUTERS

Rien n’a été volé lors de l’attaque de la mosquée Imam-Hussein de Verulam, dans la province du Kwazulu-Natal, à 27 km au nord du port de Durban. Les trois hommes qui ont pénétré dans l’édifice religieux, jeudi 10 mai dans l’après-midi, portaient des cagoules noires. Ils avaient des couteaux de chasse et de quoi mettre le feu. Ils s’en sont pris d’abord à la bibliothèque, dans laquelle ils ont réussi à déclencher un incendie, puis ont attaqué l’imam, qui se trouvait à l’étage, seul avec un fidèle. Le responsable religieux n’a eu la vie sauve qu’en sautant du deuxième étage, malgré ses blessures au thorax, infligées par des coups de couteau. Il est actuellement hospitalisé.

Entendant des cris, Abbas Essop, un commerçant de nationalité canadienne dont la boutique se trouve en face de la mosquée – qu’il fréquentait –, s’est précipité pour porter secours au moulana (imam). Il s’est trouvé confronté aux assaillants, qui l’ont maîtrisé avant de lui trancher la gorge, puis se sont enfuis à bord d’une voiture.

Appel au calme

L’Afrique du Sud ne sait comment interpréter cet acte, encore impossible à qualifier avec précision. S’agit-il d’un attentat ? D’un crime crapuleux ? L’affaire est suivie avec beaucoup d’attention dans un pays qui faisait jusqu’ici figure de havre de paix confessionnelle, malgré des tensions souterraines. Shaykh Isgaak Taliep, le secrétaire général du Conseil judiciaire musulman sud-africain, a d’ailleurs exprimé son inquiétude. A l’issue d’une réunion avec de nombreux responsables religieux, il a déploré « cet acte sans précédent qui, [espère-t-il,] sera le dernier », mais appelle également « la communauté [musulmane] tout comme le reste de l’Afrique du Sud au calme, à la raison », et surtout à éviter toute tentation de se faire justice.

Les fidèles de la mosquée Imam-Hussein sont de confession chiite, dans un pays où les musulmans (moins de 2 % de la population) sont majoritairement sunnites. Des tensions ponctuelles entre les groupes se sont multipliées, mais elles étaient jusqu’ici considérées comme anecdotiques. Pour autant, les discours enflammés contre les chiites ne restent pas cantonnés à la clandestinité en Afrique du Sud. Des écrits véhéments circulent, comme la Lettre ouverte aux musulmans d’Afrique du Sud diffusée par des associations du Kwazulu-Natal (notamment une organisation baptisée Réveil de l’islam). Ce texte invite les croyants sunnites à considérer chaque chiite comme un « ennemi intérieur », adepte d’une religion n’ayant rien à voir avec l’islam mais devant être considérée comme « une création des Perses ». Dans une veine clairement anti-iranienne, il conseille à ses lecteurs d’éviter de « faire des affaires avec l’Iran » ou encore de « fréquenter des restaurants tenus par des chiites ».

« Dans ce pays, on n’a pas peur de parler avec véhémence de questions de ce genre mais, hormis deux exemples dans les années 1980 dans la région de Durban, cela ne mène habituellement pas à des actes violents », nuance Na’eem Jeenah, directeur exécutif du Centre Afrique Moyen-Orient (AMEC), un think tank de Johannesburg. Mais une bonne source au sein de la communauté musulmane d’Afrique du Sud assure pencher « pour une piste menant vers une question confessionnelle », ajoutant : « D’après les informations que j’ai pu recueillir, cette attaque a été conduite par des étrangers, même s’il est trop tôt pour confirmer leur nationalité. » Plusieurs observateurs étrangers tentent de déterminer si ces faits peuvent être reliés à des sympathisants de groupes djihadistes en Afrique du Sud.

Combattants rentrés de Syrie

Par le passé, il a été établi que le groupe somalien Al-Chabab menait des activités dans le pays. Il y collecte des fonds et s’y procure des explosifs, dont certains ont été utilisés en Somalie et au Kenya. Ces opérations n’impliquent pas, en théorie, de projets d’attentats sur le sol sud-africain.

En revanche, des sympathisants de l’organisation Etat islamique (EI) sont soupçonnés d’élaborer des projets de cette nature. De jeunes Sud-Africains sont partis dès 2013 en direction de la Syrie pour rejoindre le califat et ses troupes. Certains y sont morts, mais quelques dizaines de combattants sont parvenus, depuis, à rentrer.

D’autres aspirants au départ n’ont jamais réussi à gagner la Syrie, comme Fatima Patel, arrêtée en 2016 avant d’avoir pu quitter le pays. Dans sa chambre, les enquêteurs avaient trouvé des munitions et un drapeau de l’EI. Elle avait cependant été libérée sous caution. Elle a été de nouveau arrêtée en février, en même temps que son compagnon, Sayfydeen Aslam Del Vecchio, dans le cadre de l’enquête sur l’enlèvement et le meurtre d’un couple détenteur de la double nationalité britannique et sud-africaine. Le corps de Rodney Saunders avait été découvert dans une rivière du Kwazulu-Natal le 17 février, une semaine après sa disparition ; son épouse, Rachel, n’a pas été retrouvée. Fatima Patel et Sayfydeen Aslam Del Vecchio sont soupçonnés d’avoir vidé le compte en banque des Saunders pour financer des activités illégales.

Il est néanmoins impossible de déterminer si une cellule préparant activement des attaques est à l’œuvre dans la région. Les autorités sud-africaines restent prudentes et considèrent, en l’état actuel de l’enquête, le dossier Saunders comme une tentative d’enlèvement qui aurait mal tourné.

Mais pour les autorités britanniques, « il est possible que des terroristes mènent des attaques en Afrique du Sud ». Ces actions « pourraient se produire en de multiples endroits, notamment ceux fréquentés par les touristes, comme les centres commerciaux des grandes villes », précise le gouvernement dans un avis aux voyageurs. Les services sud-africains ont déjoué plusieurs projets de cette nature par le passé. Des jumeaux, Brandon-Lee et Tony-Lee Thulsie, avaient notamment été arrêtés en 2016. Ils étaient soupçonnés de préparer des attentats contre des cibles de la communauté juive et des représentations diplomatiques occidentales.