Spotify va exclure de ses playlists des artistes au comportement jugé problématique, comme le chanteur R Kelly, dans leur musique comme dans leur vie en dehors de leur oeuvre. / Frank Franklin II / AP

Dans les playlists de Spotify, plus de R. Kelly ni de XXXtentacion. Si les chansons des deux artistes restent disponibles sur la plateforme d’écoute de musique en ligne, elles n’y sont plus mises en avant dans les sélections – des listes générées automatiquement en fonction des goûts des utilisateurs, ou créées par thématique. Une décision liée aux accusations qui pèsent sur les chanteurs, soupçonnés de violences sexuelles pour le premier, et de violences conjuguales pour le second.

Les nouvelles règles adoptées par Spotify et dévoilées le jeudi 10 mai stipulent en effet que la plateforme supprimera tout contenu promouvant ou incitant à la violence ou à la haine, mais aussi que le comportement des artistes pourra influer sur la manière dont ils « travaillent avec eux ». Ceux qui commettent des actes « particulièrement blessants ou haineux » (Spotify cite par exemple des « violences envers des enfants » ou « des violences sexuelles ») ne figureront plus dans les playlists de la plateforme.

« Remplacer la loi par la morale »

Si la nouvelle a fait grand bruit. Spotify supprimait en réalité déjà de son catalogue certains artistes. En août 2017, elle avait banni des groupes de musique d’extrême droite, dont certains avaient des textes ouvertement racistes ou islamophobes.

Spotify annonce aujourd’hui s’être entourée d’organisations et associations spécialisées dans la lutte contre les propos haineux comme la Ligue anti-diffamation (ADL) et l’association Color of Change.

L’entreprise, qui n’a pas souhaité répondre à nos questions, n’a pas précisé de combien de modérateurs elle disposait pour trier les signalements, effectués par ces organisations ou les utilisateurs.

En s’intéressant au comportement des artistes hors de leurs œuvres, Spotify franchit toutefois un seuil supplémentaire, explique Sophian Fanen, auteur du livre Boulevard du Stream (Castor Astral, 2017) et journaliste chez Les Jours :

« Pour la première fois, Spotify a fait un aveu. Elle a reconnu qu’elle avait un statut de média, et non pas d’hébergeur. Elle ne se contentera plus seulement de réagir aux musiques ou artistes problématiques qui lui sont signalés. Désormais, elle va agir en amont, éditorialiser ses contenus, remplacer la loi par la morale. »

Où placer le curseur ?

La tâche semble ardue, car il ne s’agit pas de sanctionner uniquement les artistes qui ont été condamnés par la justice. S’il est la cible d’appels au boycott récurrents sur les réseaux sociaux en raison d’accusations de violences sexuelles envers des femmes et envers une personne mineure, R. Kelly n’a pas été condamné par la justice, et a toujours nié les faits. XXXtentacion, lui, est visé par une plainte pour violences conjuguales, mais n’a pas encore été jugé.

La question se pose aussi pour des artistes ayant été condamnés, comme Bertrand Cantat, condamné en 2004 à huit ans de réclusion pour le meurtre de sa compagne, Marie Trintignant. Son récent retour sur la scène musicale a provoqué de nombreux débats, à tel point que plusieurs festivals ont décidé d’annuler sa venue. Spotify n’a pas été en mesure d’indiquer au Monde s’il serait concerné par la nouvelle politique de sanction.

« Cela va être toute la difficulté pour Spotify, admet Sophian Fanen. Il va bien falloir qu’ils déterminent où ils veulent placer le curseur. Des artistes qui sont des salopards, il y en a beaucoup. Mais cela peut aussi vite virer au puritanisme, si par exemple ils décident de ne plus mettre dans leurs playlists des musiques contenant trop de gros mots. »

Le spécialiste estime que le dispositif pourrait réellement pénaliser les artistes visés. « A long terme, cela peut tuer un artiste économiquement de ne plus être mis en avant sur les grosses plateformes ».

Sur Spotify, rares sont selon lui les utilisateurs à taper le nom des artistes qu’ils veulent écouter dans la barre de recherche. Il estime qu’entre « 60 et 70 % » des écoutes ont pour origine des playlists, devenues un nouveau mode de consommation musicale avec le développement du streaming.

Ce dernier constitue désormais une source d’écoute considérable pour les artistes. Spotify compte ainsi, à elle seule, 71 millions d’abonnés payants et 159 millions d’utilisateurs, selon des chiffres datant de fin 2017.